Notre-dame-de-lourde-créateur-francois-partie-01 et 2

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L HISTOIRE SAINT JEAN-BAPTISTE, PRÉCURSEUR DU MESSIE


L HISTOIRE SAINT JEAN-BAPTISTE, PRÉCURSEUR DU MESSIE

L’enfance de saint Jean


Pendant que la fureur d'Hérode cherchait à s'assouvir sur Zacharie, Elisabeth, privée d'appui et de soutien, et n'osant implorer aucun secours humain, dans la crainte de se voir enlever son précieux dépôt, fuyait, emportant dans ses bras et serrant contre son cœur l'enfant de la promesse; elle demandait aux montagnes et aux rochers une retraite inconnue et un abri protecteur pour son fils. On dit que, dans sa douleur et son délaissement, cette mère désolée, mais confiante cependant et résignée, ne craignit pas d'implorer auprès des rochers du désert une grâce qui lui eût été refusée par les satellites du tyran, et que, sur sa prière, Dieu lui offrit un asile en ouvrant les flancs d'un rocher qui se referma sur elle. Le Seigneur confia la mère et l'enfant aux soins et à la garde d'un ange. On ajoute qu'Elisabeth mourut quarante jours après.

Jean, persécuté, poursuivi et voué à la mort dès son enfance, avait évité miraculeusement le glaive meurtrier qui valut aux enfants de Bethléem le bonheur de verser les premiers leur sang pour Jésus-Christ. Cependant il ne devait point pour cela être privé de la gloire du martyre.

Privé d'un père que Dieu semblait lui avoir donné pour le préparer dignement à sa haute destinée; délaissé, n'ayant pas encore trois ans, par une mère digne d'avoir un fils proclamé sans égal par la Vérité même, le saint Précurseur ne put jouir longtemps des délicieux embrassements de l'une, ni recevoir de l'autre les enseignements de vertus, de science et de sainteté qui en faisaient la gloire d'Israël.

Mais « la main du Seigneur était avec lui », ajoute saint Luc ; et sa Providence veillait sur ses jours. Dieu, qui nourrit chaque jour les oiseaux du ciel, avait autrefois pourvu miraculeusement aux besoins du fils d'Agar, qui n'était point l'enfant de la promesse; il avait alimenté, pendant quarante ans, un peuple tout entier dans un désert aride; et, plus tard, il confiait à un corbeau le soin de porter au premier Elie le pain de sa journée. Il voulut aussi protéger les jours du fils de Zacharie, et il chargea ses anges de le nourrir et de l'élever.

Selon la pensée de saint Jean Chrysostome et de saint Augustin, Dieu semble avoir agi envers le Précurseur comme vis-à-vis du premier homme; lorsqu'il eut créé Adam dans la plaine de Damas, il le transporta aussitôt dans le paradis pour le perfectionner et le protéger. Il mit aussi Jean dans le désert comme dans un paradis; c'est là, en effet, que Dieu perfectionne ses Saints en leur donnant une idée de sa gloire, que l'on ne peut considérer que dans la retraite. Il ne voulait pas faire élever au milieu du monde le prédicateur de la vérité ; car elle n'est point connue dans le monde, et surtout dans les palais. C'est ainsi qu'il retira Moïse de la cour de Pharaon, où il était élevé trop délicatement, et l'envoya dans le désert de Madian.

« Ce que Dieu fait dans cet enfant est inouï », dit Bossuet 17. « Celui qui, dès le sein de sa mère, avait commencé à éclairer saint Jean-Baptiste et à le remplir de son esprit, se saisit de lui dès son enfance. Que ne faut-il point penser d'un jeune enfant qu'on voit tout d'un coup, après le grand éclat que fit sa naissance miraculeuse, disparaître pour être seul avec Dieu, et Dieu avec lui ? Loin du commerce des hommes, il n'en avait qu'avec le ciel. Qui n'admirerait cette profonde retraite ? Que ne lui disait pas ce Dieu qui était en lui ? Il ne faut donc point s'étonner si l'Evangile dit de lui ces paroles bien dignes de remarque : « Cependant l'enfant croissait et se forti­fiait en esprit, et il habitait dans le désert jusqu'au jour de sa manifestation en Israël  ».

L'Evangile ne nous fait point connaître les déserts où saint Jean-Bap­tiste passa sa vie, jusqu'à ce qu'il plût au Seigneur de l'envoyer prêcher. Mais la tradition a recueilli précieusement tout ce qui pouvait mettre sur les traces et faire suivre les pas de celui qui préparait les voies au Messie.

Antoine Aranda, religieux de l'Ordre de Saint-François, qui avait exploré avec beaucoup de soins la Terre-Sainte, raconte que le Précurseur habita dans trois endroits différents. A cinq milles de Jérusalem, dit cet auteur, se trouve une bourgade qui possède un temple bâti sur le lieu même où se trouvait la maison de Zacharie et d'Elisabeth. On y visite une chapelle célèbre par la naissance de saint Jean-Baptiste. Non loin de là se trouve une autre église que l'on dit aussi avoir été une maison de Zacharie ; on croit que c'est le lieu où la sainte Vierge alla visiter Elisabeth. A la distance d'un mille se trouve une vallée étroite et profonde. Cette vallée est adossée à un rocher dans lequel se voit une caverne taillée dans le roc. C'est dans cette caverne, dit-on, que Jean passa son enfance. C'est là le premier désert habité par le Précurseur ; il se trouve à six milles de Jérusalem.

Non loin de cette grotte, située dans la vallée du Thérébinte, se trouve une petite éminence dominée par un rocher. Les traditions locales, au rapport des voyageurs modernes, disent que le saint solitaire adressait la parole au peuple du haut de ce rocher, qui porte encore aujourd'hui le nom de Chaire de saint Jean-Baptiste.

Parvenu à un âge plus avancé, dit encore la tradition, il se retira dans un autre lieu, et s'ensevelit dans une solitude proche d'Hébron, à huit milles au sud de Jérusalem. C'est là qu'il habitait quand la voix de Dieu lui ordonna d'aller commencer sa mission.


La retraite au désert

Sur l'ordre du Seigneur, il vint dans un vaste désert en-deçà du Jourdain, non loin de Jéricho ; c'est le troisième désert qui lui servit de retraite.

Jean Moschus rapporte, sur la foi d'une révélation, que Jésus-Christ vint plusieurs fois visiter saint Jean dans un désert nommé Samsas, situé à environ un mille au-delà du Jourdain. Saint Bonaventure dit que Jean habitait un désert peu éloigné du lieu où les Hébreux, sous la conduite de Josué, franchirent miraculeusement le Jourdain à leur retour d'Egypte. Si l'on en croit ce pieux docteur, l'enfant Jésus, revenant de l'exil avec Marie et Joseph, serait allé voir son Précurseur, déjà livré à la vie solitaire et pénitente. « Avec quel empressement », dit-il, « et quelle allégresse le fils de Zacharie reçut cette auguste visite ! Quel ne dut pas être son bonheur! La sainte famille serait restée quelque temps avec saint Jean, aurait partagé son frugal repas, et après l'avoir comblé de bénédictions ineffables, lui au­rait dit adieu en le laissant à ses saintes contemplations ».

« Saint Jean », dit Pierre de Blois 18, « préférait la solitude du désert aux sollicitudes du monde, la paix au fracas, la tranquillité au tumulte; il savait que la fuite et l'éloignement des hommes étaient sa plus forte sauvegarde contre la contagion des vices ». Cependant, nous ne pouvons douter qu'il ne quittât quelquefois son désert pour venir à Jérusalem satisfaire au précepte de la loi. Moïse avait prescrit aux Juifs de se présenter chaque année devant l'Éternel pour lui offrir le tribut de leurs adorations 19; Jésus-Christ lui-même se conformait à cet ordre, comme nous l'apprend saint Luc 20 Aucune raison ne nous autorise à croire que Jean-Baptiste ait dû s'en dispenser. Car, comme Nazaréen, comme prêtre, comme prophète et surtout comme précurseur du Messie, il était tenu d'observer les saintes prescriptions de la loi. Il nous est donc permis d'avancer qu'à la solennité de la Pentecôte ou des Semaines, à la fête des Tabernacles et à l'occasion de la pâque, le fils de Zacharie quittait sa solitude, se confondait sans doute dans la foule du peuple et allait présenter au Seigneur des adorations en esprit et en vérité. Sa chevelure de Nazaréen, sa figure austère, ses vêtements étranges, ne manquaient pas de fixer sur lui les regards et l'attention. Les âmes pieuses aimeront, dans ces circonstances, le voir se rencontrer quelquefois au temple, et manger la pâque avec Jésus, Marie et Joseph ; elles imagineront les doux entretiens, les saintes conversations qui devaient avoir lieu entre le Christ et son Précurseur ; car rien ne s'oppose à cette idée qui est plus qu'une fiction ; elle est, non-seulement vraisemblable, mais on lui trouverait toutes sortes de probabilités ».

Celui qui était « la vraie lumière» descendue du ciel pour « éclairer tout homme venant en ce monde » et pour se manifester à toute chair, restait jusque-là dans l'oubli le plus profond. Malgré les merveilles de sa naissance, révélées d'abord par les anges, racontées ensuite par les bergers et bientôt divulguées en tous lieux par les Mages et par les fureurs mêmes d'Hérode; malgré la courte, mais cependant lumineuse manifestation qu'il avait faite de lui-même dans le temple aux docteurs eux-mêmes, Jésus-Christ, le fils et l'héritier de David, le Messie, le Sauveur, qui faisait depuis si longtemps l'objet de l'attente des nations, demeurait toujours dans le plus profond oubli. Il brillait cependant, mais au milieu des ténèbres, et les ténèbres ne le comprenaient pas; il était dans le monde, et ce monde, ouvrage de ses mains, ne le connaissait pas ; il était venu parmi les siens, mais les siens ne le recevaient pas.

Ainsi le sceptre échappé des mains de Juda, la principauté enlevée à la nation, les semaines de Daniel écoulées, le pays en ruine, l'époque venue où chacun attendait le libérateur, l'accomplissement des prophéties, rien n'avait été capable de fixer l'attention des enfants d'Abraham sur Celui en qui cette race privilégiée devait être bénie. Déjà plus de trente ans s'étaient écoulés sans que le monde daignât s'occuper de Jésus, réputé fils d'un artisan ignoré, voué lui-même à un métier pénible et sans honneur, renfermé dans un étroit atelier, habitant une bourgade inconnue ; le Fils de Dieu, égal et consubstantiel au Père, le Verbe fait chair et revêtu de la forme de l'esclave, attendait le moment fixé pour sa manifestation en Israël. Venant pour sauver le genre humain que l'orgueil avait perdu, il voulait ainsi le guérir et le racheter par son propre abaissement. C'est pour cela qu'il consacra toute sa vie de Nazareth à un oubli aussi instructif et aussi méritoire, peut-être, que les humiliations glorieuses du Calvaire.

Mais il y avait des motifs profonds et mystérieux de cette conduite de la divine Providence. La parole de chacun de nous a besoin d'une voix claire et sonore pour se faire mieux entendre; ainsi le Verbe de Dieu fait chair eut besoin du témoignage de Jean, afin que les hommes en fussent moins scandalisés. Aussi, l'autorité de Jean servit à Jésus-Christ pour se justifier non­ seulement devant les simples, mais encore en face des envieux et de ceux qui se scandalisaient volontairement.

L’ange du Rédempteur


Jean-Baptiste, ajoute saint Augustin, remplissait mystérieusement le rôle de la voix; mais il n'était pas seul la voix ; car tout homme qui annonce le Verbe est aussi voix du Verbe. En effet, ce que le son de notre bouche est à l'égard de la parole que nous avons à l'esprit, c'est aussi ce qu'est toute âme pieuse envers le Verbe dont il est dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était au commencement en Dieu ». Quelles paroles augustes, et même quelles voix solennelles produit la pensée conçue dans le cœur ! Quels illustres prédicateurs fait surgir le Verbe qui habite en Dieu ! C'est lui qui a envoyé les patriarches, les Prophètes et le nombreux cortège de tous ceux qui ont parlé de lui avec tant d'éclat. Le Verbe, demeurant toujours dans le sein du Père, envoya des voix ; et, à la suite de ces voix nombreuses venues devant lui, il arriva lui-même seul comme sur son char, avec sa voix, dans sa chair. Réunissez donc, comme en une seule, toutes ces voix qui ont précédé le Verbe, et mettez-les toutes dans la personne de Jean-Baptiste. Il était à lui seul la récapitulation complète, la personnification auguste et mystérieuse de toutes ces voix. C'est pour cela qu'il est appelé proprement la Voix, car il était comme la figure, l'emblème mystérieux de toutes ces voix 21.

Saint Jean « n'était pas lui-même la lumière par essence; mais il était venu pour rendre témoignage à la lumière 22 » ; et tel était le caractère sublime de sa mission, que les docteurs n'ont pas craint de dire qu'il était nécessaire qu'il rendît témoignage à la lumière, et que dans l'ordre, ou du moins dans l'exécution des divins décrets, le Sauveur du monde, tout Dieu qu'il était, eut besoin du témoignage de saint Jean, et que ce témoignage a été nécessaire pour l'établissement de notre foi. Or, le Sauveur le reconnaissait lui-même lorsqu'il disait aux Juifs : « Si je rendais témoignage de moi-même, vous diriez », quoique injustement, « que mon témoignage n'est pas recevable ; mais en voici un autre qui rend témoignage de moi 23 ». Car, selon la pensée de saint Jean Chrysostome, expliquant à la lettre ce passage, cet autre, dont parlait Jésus-Christ, était saint Jean, son Précurseur. De plus, dans l'ordre des divins décrets, le témoignage de saint Jean était nécessaire pour l'établissement de notre foi; car le même évangéliste, qui nous apprend que Jean est venu pour rendre témoignage à la lumière, en apporte aussitôt la raison : « Afin que tous crussent par lui ». D'où il suit que notre foi en Jésus-Christ est originairement fondée sur le témoignage de ce grand Saint, puisqu'en effet c'est par lui que nous avons cru ; par lui que la voie du salut nous a été premièrement révélée ; en un mot, par lui que nous sommes chrétiens 24.

Il ne parlait pas de lui-même, dit saint Jean Chrysostome, mais il révélait les mystères de Celui au nom duquel il venait. C'est pour cela qu'il est appelé ange. Ce nom sous lequel le Précurseur se désignait lui-même d'après le Prophète, ne signifie autre chose que messager, ambassadeur; il n'indique pas nécessairement la nature des esprits célestes, ordinairement appelés anges ; mais il fait connaître une fonction auguste, que Dieu daigne quelquefois confier à des mortels. C'est ainsi que les prophètes Aggée et Malachie sont désignés sous ce nom, et que tous les prêtres, en général, sont appelés « anges du Dieu des armées ».

Jean-Baptiste n'avait pas la nature céleste des anges, comme l'ont cru quelques-uns des Juifs, et même des chrétiens illustres cependant par leur science, comme Origène ; car ils prétendaient que le fils de Zacharie n'était autre qu'un ange, incarné, comme le Fils de Dieu, pour être son précurseur et le servir sous la même forme d'esclave qu'il avait daigné aussi revêtir. C'est pour réfuter cette erreur que l'évangéliste saint Jean dit expressément, dès le début de son livre, que le Précurseur envoyé de Dieu était un homme.

Cependant, par un privilège de la grâce, Jean était un ange; car Dieu l'avait envoyé comme un héraut pour amener les hommes à Jésus-Christ. - Semblable aux esprits célestes, il n'avait point eu d'enfance, puisque, dès le sein de sa mère, il fut sanctifié, doué de l'esprit de prophétie et de l'usage de la raison; en effet, il connut dès lors, salua et adora son Dieu par un transport d'allégresse. - Par sa vie, qui n'était qu'un jeûne continuel, dit saint Basile, il semblait appartenir à la nature des anges. - Si, selon saint Bernard 24l'homme chaste est comparable aux anges par son bonheur, et l'emporte sur eux par sa vertu, le fils de Zacharie doit occuper une place des plus glorieuses et des plus élevées dans la hiérarchie céleste ; car il puisa, pour ainsi dire, la chasteté en Dieu, qui voulut le faire naître dans des conditions exceptionnelles et toutes miraculeuses. - Le propre des anges est de voir sans cesse la face de Dieu 26 ; or, depuis qu'il eut reçu dans le sein de sa mère la visite du Fils de Dieu, Jean-Baptiste cessa-t-il un seul instant de vivre en sa présence, de se tenir devant lui et de le servir comme les anges se tiennent devant Dieu et le servent ? - Il fut, selon l'opinion de la plupart des docteurs, confirmé dans la grâce comme les anges, car il ne se laissa jamais aller à aucune faute. L'austérité de sa vie, la sévérité de sa pénitence, ses privations en fait de nourriture, de vêtements, de repos, de sommeil, qui faisaient de son existence un continuel martyre, lui obtinrent ce privilège que nous envions aux anges. C'est pourquoi saint Jean Chrysostome dit que sa vie était toute angélique; il vivait sur la terre comme s'il eût été au ciel. Triomphant des nécessités de la vie, il suivit une carrière que l'on ne peut assez admirer; car, sans cesse occupé à l'oraison, à la prière et aux louanges du Seigneur, il évitait toute société humaine, et Dieu seul était l'objet et le terme de ses conversations. - Les anges d'un ordre supérieur enseignent ceux qui sont au-dessous d'eux; ils purifient, éclairent et perfectionnent les hommes ; c'est aussi ce que fit Jean-Baptiste, selon ce qu'avait annoncé l'ange Gabriel à Zacharie : « Il convertira un grand nombre des enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu; il marchera devant lui dans la vertu et l'esprit d'Elie, pour convertir les cœurs des pères vers leurs enfants, ramener les incrédules à la prudence des justes, et pour préparer au Seigneur un peuple parfait ». - Enfin, un dernier caractère qui rendait saint Jean semblable aux anges, c'est qu'il n'eut, comme eux, d'autre maître que le Saint-Esprit. Ce fut par ses soins qu'il connut les mystères les plus profonds, non pas selon les bornes d'une intelligence humaine, mais avec toute la pénétration d'un esprit céleste. C'est ce qu'enseignent saint Ambroise et saint Jean Chrysostome. C'est à l'école du Saint-Esprit que Jean reçut l'intelligence des Ecritures et même le pouvoir de parler et d'écrire avec l'au­torité des auteurs sacrés. C'est là qu'il puisa la science et le zèle qui lui étaient nécessaires comme docteur et comme prédicateur, pour concilier au Christ la foi du monde entier.

Après ces considérations générales propres à jeter plus de lumière sur la vie du saint Précurseur, reprenons le fil de son histoire.

Le premier anachorète


Nous savons, d'une manière générale, que le Sauveur commença d'abord par pratiquer, et ensuite seulement à enseigner. Mais en ceci encore, Jean-Baptiste devait être son précurseur. Avant d'élever la voix pour appeler les hommes à la pénitence, il l'avait pratiquée lui-même au plus haut degré ; avant d'enseigner la vertu, il en avait suivi les sentiers les plus ardus. En effet, il était revêtu de poils de chameau et, selon l'usage des Nazaréens, il avait autour des reins une ceinture de cuir, signe et emblème de la mortification et de la pénitence. Cet extérieur, rehaussé d'une longue chevelure ondoyante comme la portaient les Nazaréens, et qui rappelait le costume des anciens Prophètes, à lui seul était déjà une prédication. Car, comme le fait remarquer saint Grégoire, la grossièreté des habits de saint Jean était une preuve de sa mortification et surtout de sa rare humilité. On ne met, en effet, des habits précieux que par un motif de vaine gloire et dans le dessein de paraître plus honorable que les autres ; la preuve en résulte de ceci : que personne n'attache d'importance à être vêtu richement quand il ne doit pas être vu, et qu'il ne cherche point à paraître. Aussi, parmi les causes de la réprobation encourue par le mauvais riche, Jésus-Christ a-t-il soin de faire ressortir la splendeur de ses vêtements ; et en énumérant les reproches dont il accable les Pharisiens, il mentionne le luxe de leurs robes flottantes, ornées de franges magnifiques. Au contraire, en faisant l'éloge de son Précurseur, il demande si on l'a vu se vêtir avec mollesse. L'Ecriture nous fait voir partout que l'opulence des vêtements irrite le Seigneur, tandis que des habits abjects apaisent sa colère.

Par la manière de se vêtir, saint Jean ressemblait à Elie, dont le souvenir n'avait pas cessé d'être vivant parmi les Juifs. On voyait même dans ce nouveau prophète une vertu beaucoup plus admirable que dans celui de Thesbé ; car si celui-ci était autrefois vêtu comme aujourd'hui le fils de Zacharie, il habitait encore les villes et vivait ordinairement comme les autres hommes ; tandis que Jean demeurait dans la solitude depuis le berceau, et prenait sa nourriture en si petite quantité, que le Fils de Dieu a pu dire de lui, comme une chose connue de tous, qu'il ne mangeait ni ne buvait.

Etait-ce d'ailleurs une nourriture que le miel sauvage et les acrides 27 dont il sustentait son corps ? Car, non seulement il ne se nourrissait pas de pain et de vin, ni de la chair des animaux, des oiseaux ou des poissons qu'il au­rait eu la faculté de trouver dans le désert ou dans le Jourdain ; mais, selon Clément d'Alexandrie, il ne faisait usage ni des baies des arbres, ni des graines des plantes, ni de légumes.

On admet communément que saint Jean mangeait des sauterelles, nourriture vulgaire et assez ordinaire pour que la loi de Moïse contînt des dispositions à ce sujet, en les rangeant au nombre des animaux purs.

Cependant cette opinion, quoique généralement accréditée, est loin de réunir l'assentiment unanime des auteurs ; et ceux qui semblent avoir le mieux entendu et expliqué le mot de l'Evangile, disent formellement que la nourriture de saint Jean se composait de bourgeons des plantes et de jeunes tiges des arbres. C'est le sens de la version éthiopienne ; ce que disent formellement saint Athanase et Clément d'Alexandrie ; c'est aussi le sentiment de saint Isidore de Péluse, de Nicéphore, de Cajetan, de Bochard, etc.

Ce dernier auteur, dans la description qu'il fait de la Palestine, dit qu'il y a sur les rives du Jourdain des herbes connues sous le nom d'acrides, et dont les moines faisaient leur nourriture. - C'est ainsi que nous lisons dans la vie de saint Hilarion, que sa nourriture consistait en quelques figues et dans le suc des herbes 28.

Les habitants du pays, fondés sur les traditions locales, toujours si vivaces en Orient, se font un plaisir de montrer aux pèlerins de Terre-Sainte un arbuste dont le saint Précurseur faisait autrefois sa nourriture : c'est le caroubier.

« Les pauvres gens s'en nourrissent, ils en mâchent la pulpe ou la mêlent à l'eau. Parmi les arbres que l'on remarque sur la colline où se trouve la grotte de saint Jean, il y a encore aujourd'hui plusieurs caroubiers. Cet arbre s'appelle en allemandArbre du pain de saint Jean, précisément parce qu'on croit que saint Jean se nourrissait de ses fruits. C'est aussi la nourriture dont il est parlé dans l'histoire de l'Enfant prodigue, qui eût été bien aise de s'en rassasier avec les pourceaux.

« Successeur des prophètes Elie et Elisée, qui vivaient d'herbes et de racines dans les grottes du mont Carmel, saint Jean a donc été le premier anachorète du christianisme, et son exemple a bientôt été suivi par des mil­liers d'autres. Dès les premiers siècles, ces déserts ont été peuplés par ses pieux imitateurs ».

Cette vie rude et rigoureuse, dit Bossuet, n'était pas inconnue dans l'ancienne loi. On y voit, dans ses prophètes, les Nazaréens, qui ne buvaient point de vin. On y voit, dans Jérémie, les Réchabites qui, non contents de se priver de cette liqueur, ne labouraient, ni ne semaient, ni ne cultivaient la vigne, ni ne bâtissaient de maisons, mais habitaient dans des tentes. Le Seigneur les loue par son prophète Jérémie d'avoir été fidèles au commandement de leur père Jonadab, et leur promet, en récompense, que leur institut ne cessera jamais. Les Esséniens, du temps même du Sauveur, en tenaient beaucoup. La vie prophétique qui paraît dans Elie, dans Elisée, dans tous les Prophètes, était pleine d'austérités semblables à celles de Jean-Baptiste, et se passait dans le désert, où ils vivaient pourtant en société avec leurs familles.

Mais que jamais on se fût séquestré du monde, et dévoué à une rigou­reuse solitude, autant et d'aussi bonne heure que Jean-Baptiste, avec une nourriture si affreuse, exposé aux injures de l'air, et n'ayant de retraites que les rochers, car on ne nous parle point de tentes ni de pavillons, sans secours, sans serviteurs et sans aucun entretien, c'est de quoi on n'avait encore aucun exemple 29.

Le prédicateur de la pénitence


Au premier aspect, il semble étrange et extraordinaire que le héraut de l'Evangile, le messager envoyé par Dieu même pour préparer la bonne nouvelle, débute dans la carrière par prêcher la pénitence. Pourquoi n'annonça-t-il pas plutôt la joie ? C'est que dans l'état de servitude où ils gémissaient, les enfants de Jacob attendaient un libérateur qui s'occupât uniquement, ou du moins principalement, de les rendre à leur liberté politique et à leur indépendance nationale. Ils avaient oublié, ou bien ils ne comprenaient pas sous quels traits les Prophètes avaient dépeint le Sauveur, l'Emmanuel qui devait venir opérer leur salut, s'occuper surtout de leurs âmes et leur proposer les biens d'une autre vie. Ils auraient salué avec acclamation un Messie restaurateur de leur patrie, cette terre promise si solennellement à leurs pères, et dont ils étaient cependant dépossédés par des Gentils. Ils se seraient imposé tous les sacrifices, auraient bravé tous les dangers, essuyé les fatigues et affronté la mort même, pour seconder les vues de ce libérateur et lui donner les moyens de les rendre à la liberté. Voilà pourquoi les Juifs étaient tenus, depuis quelque temps, dans une continuelle alerte, prêts à saluer le premier qui se montrerait comme le Messie, et à lui donner le concours de leurs biens et de leurs personnes.

Mais autant ils se trompaient sur la mission qu'ils supposaient à ce libérateur, autant ils se faisaient illusion sur les moyens à mettre en œuvre pour assurer et faciliter le succès de sa venue. Comme le Messie conquérant attendu par les Juifs, le Roi pacifique, qui était leur vrai libérateur, devait exiger de leur part une coopération et des sacrifices, mais d'un genre tout différent. Comme le royaume qu'il venait leur assurer et la délivrance qu'il allait leur offrir étaient tout surnaturels et divins, ainsi la coopération qu'il fallait y apporter devait aussi avoir un caractère exclusivement spirituel et céleste ; car ce qu'il voulait conquérir, assujettir à ses lois et soumettre à son empire, c'était le cœur des Juifs ; et il ne devait, pour cela, employer d'autres armes que celles de la pénitence. Son Précurseur, qui était chargé d'aller devant lui pour lui préparer la voie, ne pouvait donc pas prêcher autre chose.

C'est aussi pour cela que saint Jean-Baptiste, rappelant les paroles prononcées autrefois par Isaïe, déclare qu'il est lui-même chargé de les mettre à exécution, et appelle à cette guerre, à cette conquête d'un nouveau genre, en criant à tous : « Préparez la voie du Seigneur, rendez droits ses sentiers ». Ce langage métaphorique, ordinairement usité par les Prophètes, devait être compris par le peuple.

L'Evangile ne nous fait point connaître quel fut le sujet précis du premier discours que saint Jean-Baptiste adressa au peuple après avoir annoncé sa mission d'une manière générale. Selon saint Matthieu, il exhorta les Juifs à la pénitence, et en donna pour motif l'approche du royaume des cieux. D'après saint Marc, il vint baptisant et prêchant le baptême de pénitence pour la rémission des péchés. Ainsi il résulterait de leurs récits que le Précurseur aurait parlé, dès le commencement de sa prédication, de trois sujets différents : de la pénitence, du baptême et du royaume des cieux. Il ne nous semble pas néanmoins qu'il ait pu développer et faire comprendre ces différentes matières dans un seul discours; car elles exigeaient des explications de sa part. Nous pouvons donc supposer qu'il en fit trois instructions spéciales.

Les pharisiens croyaient expier toutes leurs fautes en pratiquant des ablutions fréquentes; et, dans leur orgueil, ils ne voyaient pas que sans le repentir et les larmes du cœur, la pénitence et les purifications du corps sont incapables de justifier devant Dieu. Or, ils avaient infecté tout le peuple du levain de leur doctrine.

Pour désabuser les Juifs de cette pernicieuse croyance, saint Jean-Baptiste se mit à prêcher la pénitence ; non plus seulement cette pénitence qui consistait à affliger momentanément et à laver le corps, et qui ne s'adressait point à l'âme pour humilier son orgueil et réprimer la concupiscence charnelle; mais cette pénitence intérieure qui consiste à briser, à déchirer le cœur pour en faire sortir le venin mortel que le péché y a laissé. Il annonça, en même temps, que cette pénitence du cœur opérait la rémission des péchés avec le secours d'un nouveau baptême, tout différent des ablutions légales et traditionnelles.

On ne peut nier, sans doute, que le dogme de la rémission des péchés ne soit au moins insinué sous le régime de la loi ; mais les sacrifices expiatoires, les pénitences satisfactoires avaient plutôt pour but de dissimuler les péchés devant Dieu que d'en opérer la remise. C'est ce qui a fait dire à saint Grégoire le Grand : Avant l'arrivée du Christ, on était incertain si ceux qui étaient tombés dans des péchés graves, pouvaient être pardonnés ; et la rémission des péchés a été inconnue d'un grand nombre.

Ainsi donc, il était réservé au saint Précurseur d'être le premier messager de la miséricorde et d'annoncer d'une manière formelle, positive et générale, le dogme consolant du pardon et du rachat des péchés par le moyen de la pénitence.

Il nous serait difficile, nous qui n'avons vécu que sous la loi de grâce et d'amour, de nous faire une idée de l'effet que cette annonce solennelle dut produire sur un peuple courbé, pour ainsi dire, sous le poids d'une loi de justice et de rigueur. La nouvelle d'une amnistie inattendue, qui rend un prisonnier à la liberté, un exilé à sa patrie, ou qui brise les fers d'un condamné, ne cause pas plus de joie, n'excite pas plus de transports.

Le Baptiste


Aussi, la foule du peuple se pressa bientôt autour du nouveau prophète avec un concours si extraordinaire, qu'Elie, ce prophète si vénéré pour la puissance de sa parole et de ses œuvres, ne vit jamais accourir une multitude si nombreuse, si empressée et si bien disposée à obéir. A la voix de Jean-Baptiste, tout cède, chacun se rend ; il fait autant de pénitents qu'il a d'auditeurs. Cependant, ceux qui se convertissent ne sont point frappés ni attirés par l'éclat de ses miracles ; car il n'en opéra aucun. Ce sont ses vertus et ses austérités qui font de si puissantes impressions sur l'esprit et sur le cœur de ceux qui l'écoutent. La sainteté de sa vie engage ceux qui l'entendent à réformer la leur; les plus voluptueux cessent de l'être en voyant un homme si mortifié.

Selon la prédiction de l'ange, le fils de Zacharie devait précéder le Fils de Dieu dans toutes ses voies ; son annonciation, sa naissance, sa pénitence, sa prédication étaient déjà des préparations à celles du Christ; il devait donc aussi le précéder par son baptême. Le baptême de saint Jean était, en effet, pour ceux qui se trouvaient animés de l'esprit de foi, ce que l'enseignement de la doctrine est pour les catéchumènes avant leur admission au sacrement de la régénération. En le conférant, saint Jean avait de plus l'occasion de faire sentir la nécessité de la purification intérieure et de la pénitence du cœur, contrairement à ce que pratiquaient les pharisiens hypocrites, qui se contentaient de nettoyer le dehors de la coupe sans se mettre en peine de purifier leurs cœurs remplis de rapines et d'impuretés. Par ce moyen, le Précurseur pouvait, en outre, rendre témoignage à Jésus-Christ.

Il dit en effet, lui-même, qu'il était venu baptiser dans l'eau pour mani­fester à Israël Celui qui devait baptiser dans le Saint-Esprit. Aucun des anciens Prophètes n'ayant annoncé et administré de baptême, la nouveauté du rôle de saint Jean, qui lui valut le surnom de Baptiseur ou Baptiste, attirait à lui une foule immense. Il put ainsi annoncer à tout le peuple la venue du Messie, dont il se disait le précurseur.

Enfin, le baptême de saint Jean avait encore pour but de disposer les hommes à recevoir celui de Jésus-Christ. Comme il se donnait au nom de Celui qui, depuis si longtemps, était l'attente des nations et surtout du peuple juif, il était comme une déclaration et une profession de foi au Rédempteur, et un engagement de faire de dignes fruits de pénitence. La connaissance et la foi du mystère de la rédemption et la pratique de la pénitence étaient la fin du baptême donné par saint Jean. Et parce que la pénitence n'est pas obligatoire pour les enfants, et que les femmes devaient être instruites par leurs maris, le Précurseur n'admettait à son baptême, selon quelques auteurs, ni les enfants ni les femmes.

Le baptême du Précuseur était un sacrement, puisqu'il était le signe d’une chose sainte, savoir : le signe du baptême de Jésus-Christ. Il ne conférait pas la grâce par lui-même ; cependant il était comme le préambule des sacrements de la grâce et de la loi nouvelle. C'est pourquoi il est appelé proprement l'intermédiaire entre les sacrements de l'ancien Testament et ceux du nouveau. Il avait cela de commun avec les sacrements de la loi ancienne, qu'il n'était qu'un signe ; avec ceux de la loi nouvelle et de la grâce, qu'il disposait prochainement à la grâce, et que, par sa forme et sa matière, il avait des similitudes avec le baptême chrétien ; car il se donnait dans l'eau et au nom du Christ.

On ne peut douter que Jean ne se servît d'une formule pour donner son baptême. Saint Paul l'insinue d'une manière assez claire par ces paroles « Jean baptisa le peuple du baptême de pénitence, en disant qu'ils devaient croire en Celui qui allait venir après lui 30 » ; le texte grec porte « en Jésus-Christ ». Les saints Pères et les Docteurs de l'Eglise infèrent de là que la forme du baptême de saint Jean était : « Je te baptise et je t'initie à la foi du Christ qui doit venir ». Jean, dit saint Ambroise, baptisa pour la rémission des péchés, non pas en son nom, mais au nom de Jésus-Christ. Selon saint Jérôme, ceux qui avaient reçu le baptême de Jean étaient baptisés au nom du Seigneur Jésus qui devait venir après lui. Le maître des Sentences, et avec lui saint Thomas et saint Bonaventure, Hugues de Saint-Victor, Tostat et d'autres auteurs plus modernes ont partagé cette persuasion.

Le Précurseur avait reçu de Dieu lui-même la mission de baptiser; son baptême était donc divin, et tous les Juifs en étaient persuadés. Si l'on en juge par l'empressement que le peuple et les Pharisiens eux-mêmes mettaient à le recevoir, il paraîtra évident que l'on croyait à sa nécessité. C'était, sans contredit, un moyen plus efficace que toutes les anciennes purifications, et même que les sacrifices de la loi, pour obtenir le pardon des péchés. Aussi, selon Eusèbe, était-ce pour détacher peu à peu les Juifs des rites mosaïques que Dieu avait intimé à saint Jean l'ordre de baptiser. Si ce baptême n'était pas indispensable au salut, comme celui de Jésus-Christ, il entrait cependant dans le plan divin de l'œuvre de la rédemption; car il était destiné à servir de terme à la loi et de commencement à l'Evangile; il devait préparer les hommes à la pénitence du cœur, leur faire sentir la nécessité de la pureté de l'âme, les accoutumer au baptême de Jésus-Christ ; enfin, c'est par ce moyen que le Fils de Dieu voulait être manifesté en Israël.

La confession des péchés 


Ce qui distinguait surtout le baptême de saint Jean, et lui donnait une efficacité particulière, c'est qu'il était accompagné de la confession des péchés. « Toute la Judée », dit saint Marc, et tous ceux de Jérusalem venaient à lui, et, confessant leurs péchés, ils étaient baptisés par lui dans le fleuve du Jourdain ». C'est ici le lieu de rechercher quelle était la nature de cette confession exigée par le Précurseur pour être admis à son baptême.

L'aveu public ou secret de ses fautes n'était point une chose inouïe chez les anciens, et surtout chez les Juifs. Il en devait être ainsi ; car la confession n'est-elle pas un besoin du cœur humain ?

Pour accorder son pardon au coupable, Dieu a toujours exigé de lui une confession humble et sincère. Sous la loi de nature aussi bien que sous la loi de Moïse et sous l'Evangile, cette confession devait être faite non seulement de cœur et de bouche, mais encore confiée au ministre choisi de Dieu; elle ne devait pas être seulement générale, mais particulière et spéciale. C'est ce que nous voyons par la Genèse, où Dieu interroge séparément d'abord Adam, puis Eve, et, plus tard, le fratricide Caïn, pour recevoir de leur bouche un aveu sincère et complet de leur faute en présence de son ministre, c'est-à-dire de cet ange qui leur apparaissait sous une figure humaine, puisqu'il marchait dans le paradis.

Les docteurs croient que si Adam, au lieu de rejeter la faute sur la femme, comme la femme sur la ruse du serpent, eût confessé sincèrement son péché, Dieu aurait rendu nos premiers parents à leur état primitif, ou du moins aurait mitigé leur condamnation, et n'en aurait peut-être pas fait peser le châtiment sur leur postérité.

Le baptême du Christ


Quoiqu'il fût l'innocence même et la sainteté par essence, le Christ ne voulut point entreprendre sa mission évangélique sans s'y préparer par la pénitence. C'est par la pénitence qu'il s'était réservé de se manifester. En envoyant devant lui saint Jean-Baptiste pour lui préparer les voies, il lui avait donné surtout le caractère d'un héraut de pénitence; tout le ministère du fils de Zacharie avait pour objet la pénitence ; c'est pour cela qu'il disait : « Je suis venu baptisant dans l'eau, afin que le Christ fût manifesté dans Israël ». En sorte que la voix qui poussait, dans les solitudes du Jourdain, cette clameur : « Faites pénitence, car le royaume des cieux est proche », la prédication de saint Jean annonçait la vocation même du Fils de Dieu.

Le vrai motif de la prédication et du baptême du Précurseur était donc uniquement que le Saint des saints, qui seul était capable de faire pénitence pour tous les prédestinés, appelé par cette voix publique et solennelle, approchât ouvertement du sanctuaire céleste en présence de Dieu son Père, et des saints anges, et reçût d'une manière authentique l'investiture de son souverain sacerdoce, en face du monde entier. Or, c'est en se faisant baptiser par son précurseur, que le Christ devait commencer sa manifestation, inaugurer son ministère, et recevoir le glorieux témoignage de son Père.

Personne ne peut douter que le Fils de Dieu, en s'incarnant, n'ait voulu ôter le péché du monde en le prenant sur lui-même, selon ce qu'avait dit le Prophète : « Le Seigneur a placé sur lui toutes nos  iniquités ; c'est pour nous qu'il gémit ; le châtiment qui devait nous donner la mort s'est appe­santi sur sa   personne 41 ». Or, que cette pénitence véritable et parfaite ait été supportée à cause de nous, c'est ce qui est clair : la raison le sent, la foi le professe.

Mais avant de suivre Jésus sur les rives du Jourdain, recherchons les motifs qui durent l'amener à cette démarche mystérieuse. Nous en trouverons des raisons légales et des raisons mystiques.

L'apôtre saint Paul nous enseigne que Dieu, en envoyant son Fils dans le monde, voulut l'assujettir à la loi. Jésus-Christ nous déclare lui-même qu'il n'est pas venu pour enfreindre cette loi, mais pour l'accomplir.

Or, sous le régime de la loi mosaïque, on était réputé souillé et impur dans une foule de circonstances, et il était impossible de rester dans cet état d'impureté légale sans enfreindre les ordonnances du Seigneur. Toutefois, hâtons-nous de le dire, ces souillures légales n'affectaient point l'intérieur, et ne nuisaient point à la pureté de l'âme, même chez les hommes ordinaires; à plus forte raison n'empêchaient-elles pas que le Fils de l'homme ne fût et ne restât la sainteté par essence.

Le Sauveur fut donc obligé de se soumettre à l'usage du baptême, des lotions ou des purifications légales, selon la coutume du temps.

Ainsi, le Sauveur célébrait chaque année la pâque mosaïque. Or, il n'était permis à personne, et pour aucune raison, de manger l'agneau pascal sans être purifié et baptisé. Si donc il a pu porter à ces ennemis ce défi : « Qui d'entre vous me convaincra de péché ? » c'est-à-dire m'accusera d'avoir violé la loi même dans les prescriptions les plus légères, il faut reconnaître que Jésus-Christ a fait souvent usage des bains et purifications en vigueur chez les Juifs ; qu'il s'est conformé aux ordonnances de Moïse et aux coutumes de la nation et de l'époque.

D'après la loi, on devait s'adresser à un homme pour se faire purifier ; quel autre que le fils de Zacharie était aussi digne de remplir ce ministère auprès du Fils de Dieu ? N'était-ce pas pour se préparer à cette auguste fonction, à cet insigne honneur que, dès son enfance, saint Jean avait soustrait sa vertu et son innocence à l'influence délétère du monde et en se retirant dans la solitude ?

D'autre part, jamais, dit un saint pontife, les eaux du baptême n'auraient été capables de purifier les péchés des hommes, si elles n'eussent été sanctifiées en touchant le corps du Seigneur. Jésus-Christ se fit baptiser, non pas pour se purifier, dit saint Ambroise, mais pour purifier l'eau au contact de sa chair sacrée, et la doter de la vertu de baptiser les âmes.

Le temps étant enfin arrivé où le Fils de l'homme devait se préparer à son ministère public, il adressa ainsi la parole à sa mère, dit saint Bonaventure : « Il est temps que je m'en aille, et que je glorifie mon Père en le faisant connaître ; l'heure est venue où je dois me montrer et travailler au salut du monde, pour lequel mon Père m'a envoyé ici-bas. Demeurez donc forte, ô bonne mère, car je reviendrai bientôt vers vous ». Et le Maître de l'humilité, se mettant à genoux, lui demanda sa bénédiction. Mais s'agenouillant elle-même, et l'embrassant avec larmes, elle lui dit, pleine de tendresse : « O mon fils béni, allez avec la bénédiction de votre Père et la mienne; souvenez-vous de moi, et ayez soin de revenir au plus tôt ». Il lui fit donc respectueusement ses adieux, et se dirigea de Nazareth vers Jérusalem, pour se rendre au Jourdain, où Jean baptisait, en un lieu éloigné de dix-huit milles de cette ville. Ainsi le Maître du monde s'avance seul, car il n'avait pas encore de disciples. Le Seigneur Jésus marche donc humblement pendant plusieurs jours, jusqu'à ce qu'il atteigne les bords du Jourdain. C'est la lumière resplendissante qui s'avance vers le flambeau, dit saint Grégoire de Nazianze ; le Verbe qui suit la voix ; l’Epoux qui va trouver le paranymphe ; le Seigneur qui se rend auprès du serviteur.

Depuis longtemps déjà, saint Jean entretenait dans son cœur un vif désir et un ferme espoir de voir enfin l'arrivée de son Seigneur. Il levait sans cesse les yeux de son esprit vers Dieu, et poussant vers le ciel de puissantes clameurs, il demandait sans cesse qu'il lui fût donné de voir bientôt la Consolation d'Israël et l'Attente des nations, qu'il savait être proches et dont il avait déjà salué la présence dès le sein de sa mère. L'ardeur de ses désirs l'emportait certainement de beaucoup sur ceux du saint vieillard Siméon, dont les soupirs et les cris du cœur avaient touché les oreilles du Très-haut, et en avaient obtenu la promesse qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir contemplé le Christ du Seigneur. Le Précurseur avait mérité, par ses prières incessantes, une réponse analogue de la part de Celui qui l'avait envoyé ; car une voix céleste lui avait dit : « Celui sur qui vous verrez descendre et s'arrêter l'Esprit, c'est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit ».

Quelques auteurs pensent que Jean-Baptiste n'avait pas encore vu Jésus-Christ, et qu'il ne le connaissait pas de figure jusqu'au moment où il le baptisa. De pieuses traditions nous disent, au contraire, qu'ils avaient eu ensemble des entretiens dans le désert, où était retiré le fils de Zacharie.

Quoi qu'il en soit de cette question, sur laquelle nous aurons encore l'occasion de revenir, il n'était pas possible que le Précurseur ne remarquât, dans la foule des pécheurs, Celui qu'il avait vu en esprit dès le sein de sa mère; son regard inspiré, sa pénétration prophétique, son cœur si pur, ne pouvaient manquer de distinguer, entre tous, Celui qu'il était CHARGÉ DE  faire connaître au monde, et qui était l'objet de sa mission divine.

Aussi, à la vue de ce Dieu dont il avait prêché la justice, la sainteté et la puissance suprême, il est frappé d'étonnement et de crainte, dit saint Bernard, et une frayeur extraordinaire s'empare de lui. C'est pourquoi il lui adresse ainsi la parole : « C'est moi qui dois être baptisé par vous, et non vous par moi ; et cependant vous venez à moi ». Jésus lui répliqua : « Laissez-moi faire pour cette heure, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice ».

Un des caractères les plus frappants du saint Précurseur est sans doute l'humilité ; cette vertu paraît dans toutes ses paroles et ses actions ; niais Jésus devait le surpasser en ceci comme en tout le reste, et on ne peut voir sans étonnement que sa première sortie soit pour se faire baptiser par son serviteur.

C'était donc l'ordre d'en haut, s'écrie Bossuet, que Jésus, la victime du péché, et qui devait l'ôter en le portant, se mît volontairement au rang des pécheurs : c'est là cette justice qu'il lui fallait accomplir. Et comme Jean, en cela, lui devait obéissance, le Fils de Dieu la devait aux ordres de son Père. Alors Jean ne lui résista plus, et ainsi toute la justice fut accomplie dans une entière soumission aux ordres de Dieu 42.

Il est très-probable que Jésus-Christ institua le sacrement de baptême et lui donna la vertu de justifier, au moment même de son baptême, quoi qu'il n'en ait proclamé la nécessité qu'après sa résurrection.

Jésus fut donc baptisé par Jean dans le Jourdain ; mais dès qu'il fut baptisé, il sortit aussitôt de l'eau. Voilà que tout à coup les cieux lui furent ouverts, et il vit l'Esprit de Dieu descendre sous une apparence corporelle, et se reposer sur lui. Et une voix se fit entendre du ciel, disant : Vous êtes mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances. Oui ! celui-ci est mon fils bien-aimé dans lequel je me complais.

Ces paroles célestes furent une confirmation éclatante du témoignage rendu par le Précurseur à Jésus au moment même où il le baptisa. On croit, en effet, qu'en donnant le baptême au Sauveur, Jean le montra solennellement au peuple ; car, comme à l'égard des autres, il se servait de cette formule : Je te baptise au nom de Celui qui doit venir, il semble qu'à la venue de Jésus, et au moment où il le baptisa, il a dû dire : Celui-ci est le Messie que j'ai prédit. Pouvait-il, en effet, manquer une occasion si opportune de lui rendre témoignage, et d'accomplir ainsi la justice dans toute son étendue ?

Les prodiges qui s'accomplirent au baptême de Jésus-Christ avaient pour but de rendre témoignage à ce Dieu humilié ; c'est en sa faveur qu'ils étaient produits. Le texte sacré le déclare expressément. Cependant, si la gloire dont Dieu voulut récompenser l'humilité de son Fils en fut l'objet principal et direct, le Christ n'en fut pas le seul spectateur. Car saint Jean-Baptiste dit formellement qu'il a vu le Saint-Esprit. Il n'est pas moins indubitable qu'il n'ait entendu la voix du Père. En fut-il de même de tous ceux qui assistèrent à cette scène ? Quelques docteurs l'ont cru.

Nous devons dire cependant que l'Evangile ne contient aucun mot d'où l'on puisse conclure, avec certitude, que tous les témoins du baptême de Jésus-Christ aient été admis à voir et à entendre ce témoignage. Et, si l'on examine avec soin les textes des auteurs sacrés, on verra qu'ils favorisent plutôt la négative. En effet, Jean-Baptiste voulant rendre témoignage à Jésus : « J'ai vu », dit-il, « le Saint-Esprit descendre comme une colombe, et il reposa sur lui ». Or, si tous ceux qui s'étaient trouvés au baptême du Christ avaient pu voir et entendre comme saint Jean, celui-ci n'aurait pas eu besoin de rappeler cette apparition à ceux qui en avaient été témoins ; ou bien, s'il parlait à d'autres, il n'aurait pas dit : « J'ai vu »; car il se serait plutôt servi de ces mots : « Nous avons vu, le peuple aussi bien que moi... » Et son témoignage, étant appuyé sur un témoignage public, aurait été beaucoup plus irrécusable. C'est aussi ce qu'a remarqué saint Jean Chrysostome. - Le Christ dit un jour aux Juifs en forme de reproche : «  Mon Père, qui m'a envoyé, m'a rendu témoignage ; mais vous n'avez jamais entendu sa voix 43 ». Aurait-il pu parler ainsi, si les nombreux témoins de son baptême avaient entendu la voix céleste qui retentit dans cette circonstance?

Au reste, en admettant que la vision céleste n'eut lieu qu'en faveur du Christ, et que le Précurseur en fut l'unique témoin, nous n'en restreignons nullement la portée et la valeur ; car elle n'en servit pas moins de témoignage à ceux auxquels ce mystère fut révélé plus tard. C'est pour cela que saint Jean-Baptiste dit un jour aux Juifs ces paroles solennelles: « C'est moi qui l'ai vu ; et j'ai rendu témoignage qu'il est le Fils de Dieu ».


30/12/2010
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