Notre-dame-de-lourde-créateur-francois-partie-01 et 2

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TRAITÉ DU RÈGLEMENT DE LA VIE ET DE LA DISCIPLINE DES MOEURS.


TRAITÉ DU RÈGLEMENT DE LA VIE ET DE LA DISCIPLINE DES MOEURS.

 Que la bonne éducation du premier âge est d'une très-grande importance.

 

1. Votre charité fraternelle exhorte ma timide maladresse à vous entretenir en peu de mots, de la règle de la vie et de la discipline des moeurs. Mais parce qu'il est temps de se mettre à l'oeuvre avec l'aide de celui qui vous a inspiré ce désir, j'ai cru nécessaire de débuter par cette louable vertu qu'on appelle la pudeur. Propre à tous les âges, à toutes les personnes, à tous les temps et à tous les lieux, elle convient surtout aux jeunes âmes et aux jeunes gens. Il est trois vertus qui semblent de préférence devoir faire leur apanage : la pudeur, le silence et l'obéissance. Il n'y a aucun doute, s'ils s'appliquent à les acquérir, qu'ils ne puissent, à la suite de Jésus-Christ, arriver au sommet de la perfection et au comble des vertus. Car nous voyons l'éclat de la bonne conduite et la splendeur des vertus, en ces vieillards, qui dès leur plus jeune âge jusqu'à l'âge mûr, s'exerçant dans la discipline céleste, ont couru vigoureusement dans la voie du Seigneur. Leur sagesse brille d'autant plus que la vieillesse elle- même s'instruit par l'âge, se fortifie par l'expérience et devient plus prudente par le cours du temps. C'est elle qui produit les doux fruits des efforts précédents, et qui refait le prochain et l'édifie. Car, bien des vieillards vivant de longs jours, et ne faisant aucun progrès, parce qu'ils ne se. sont rassemblés aucune richesse dans le temps favorable, infectent par la corruption de leur vie coupable, l'esprit des jeunes gens destitués de toute vertu. La religion, en effet, est aussi bien détruite par un vieillard vicieux et insensé, que par un jeune homme téméraire et éhonté. Après les prélats pervers et ignorants, dans la sainte Église, il n'est pas de fléau plus capable de nuire aux faibles. Ce genre d'hommes pullule sans nombre en ces jours (auxquels s'applique la prédiction de l'Apôtre), puisque nous y voyons confondre et avilir tout ce qui est bon et saint ( II Tim. III, I et Seq.) Et comme il est extrêmement difficile que les vieillards se corrigent et abandonnent les habitudes vicieuses invétérée eu eux, nous devons tendre la main aux jeunes gens : et s'ils veulent donner leur application et secouer toute paresse par la grâce de Jésus-Christ, ils pourront corriger leur vie, arranger leurs moeurs et améliorer leur conduite en toute chose.

2. C'est pourquoi, voilà bien longtemps que je désire, afin de contribuer au salut des jeunes gens (de ceux surtout avec qui je vis), de ramasser dans les écrits des pères, comme des fleurs que l'on cueille, quelques sentences plus spécialement appropriées à leur âge tendre. Car, je l'avoue, j'éprouve une grande tristesse et une continuelle douleur, en voyant l'aveuglement de coeur de ceux qui, après avoir appris à l'école de Jésus-Christ, comment ils doivent combattre les vices et s'adonner à la pratique des vertus, armés de l'esprit de rébellion, courent ensuite à la mort, en se précipitant à travers les sentiers abruptes du mal, avec une rage telle que le conducteur chargé de les diriger ne peut les retenir par aucun frein de discipline. Dans la maison du Seigneur, ils devraient pour rendre à Dieu l'honneur suprême qu'il mérite, briller comme un vase d'or. Pourquoi les a-t-on élevés dès la première enfance avec tant de soin et avec tant de peine, sinon afin que, devenus vaillants dans le combat, ils luttent avec vigueur contre les concupiscences, contre la chair et ses désirs, contre le démon et ses embûches si multipliées? Mais, ce qui étonne et fait souffrir, ils trouvent plus que les autres, la règle de la discipline lourde et austère. Pourquoi cela, sinon parce qu'ils aiment davantage la vie séculière. Assurément, parmi eux, il ne s'en trouve pas un ou presque pas un qui suive volontiers les règles établies parles anciens Pères, et s'attache de coeur genre de vie des vieillards: ce malheur vient,ou bien de ce que la fatigue épouvante, ou bien parce que l'abstinence est plus difficile dans cet âge passionné, ou parce que cette existence paraît trop obscure à une jeunesse active et prompte; aussi, se porte-t-on à ce qui paraît plus agréable. Plusieurs, en effet, préfèrent ce qui est actuellement à ce qui sera plus tard ; mais ils se doivent souvenir que nous combattons, non pour le présent, mais pour l'avenir. Plus l'affaire est sérieuse, plus grande doit être l'application que l'on y apporte. Bien à plaindre est celui qui rejette la loi de la vie et de la discipline, et refuse d'être gouverné par l'autorité et l'expérience des anciens. Celui qui est dans ces sentiments ne vit point selon Dieu, il vit selon ses goûts ; si cela lui est possible, il est avec ceux qu'il vient fréquenter; il va où il veut, en sort autant qu'il lui plaît; il rit et s'amuse avec ses compagnons, dans les lieux et dans les temps qui lui conviennent : enfin, tout ce qui est agréable aux frères, tout ce qui est doux au toucher, délicieux à voir, tout ce qui flatte les sens de son corps, il le recherche et s'y applique. Mais celui qui vit selon Dieu, s'attache à pratiquer non ce qui délecte sa chair, mais ce qui l'édifie selon l'esprit; et tout ce qu'il veut ou fait, il ne le veut pas faire d'après sa volonté, mais d'après la volonté du Seigneur et les règlements de ses supérieurs. Que personne, cependant, se trouvant dans le feu de la jeunesse on dans les entraînements de l'intempérance, ne désespère de sa conversion. L'olivier sauvage, greffé d'olivier franc, perd son amertume, et donne de bons fruits. Que si l'agriculture modifie la qualité des arbres, le zèle pour la doctrine et la pratique de la discipline ne pourront-ils pas adoucir n'importe quelles passions qui affligeraient l'âme ?

 

 

CHAPITRE II. Que la modestie est la principale vertu qui décore les jeunes gens, et en quels endroits il la faut surtout pratiquer.

 

3. Mais pour que la jeunesse ne soit pas viciée par des atteintes diverses, il faut attacher les âmes tendres à la pratique des vertus, afin que la bonne habitude croisse avec fâge. Pour mieux faire voir quelle vertu et quelle vertu considérable est la pudeur, je rapporterai en grande partie les sentiments et les expressions de saint Ambroise afin que si on me dédaigne, homme en effet extrêmement chétif, on n'ose pas mépriser le grand Ambroise, bien plus, le Christ qui parle en ce saint docteur. Voici comment parle cet excellent maître de la vie bien réglée: « C'est aux jeunes gens qu'il appartient d'avoir la crainte de Dieu, d'honorer leurs parents, de s'appliquer à la chasteté, de ne pas mépriser l'humilité, de chérir la clémence et la pudeur qui font l'ornement de l’âge encore tendre. La gravité sied aux vieillards, la vigueur aux jeunes gens : aussi la modestie est une qualité qui orne la jeunesse. Quelle est belle cette vertu, quelle grâce elle donne, en éclatant non-seulement dans les actes, mais encore dans les paroles, et en empêchant de dépasser la mesure dans la conversation et de proférer des termes moins décents. La parole est très-souvent, en effet, le miroir de l'âme. La modestie va jusqu'à régler le son de la voix, de crainte que trop libre elle n'offense quelqu'un. Et même dans le chant, la première règle à observer, c'est la modestie, il en est ainsi dans toute manière d'exprimer sa pensée par les sons de la voix; il faut que chacun se mette à chanter, ou à lire, ou à parler, de telle manière que les principes de cette vertu dirigent toujours et fassent remarquer les progrès qu'il y fait jusqu'à la fin. La modestie se trouve aussi dans les yeux elle empêche le bon jeune homme qui a une âme pudique, de regarder et d'entretenir les femmes, non pour exécrer ce sexe, mais afin d'éviter le vice. La garde des yeux sert grandement à conserver la chasteté. Plusieurs ont reçu la mort à cause de la beauté de la chair. De là cette parole du Seigneur : Qui regarde une femme pour en faire l'objet de sa convoitise, l'a déjà souillée dans son cœur (Matth. V, 28).

4. Que les jeunes enfants de bon caractère, vivant dans un monastère, se conservent avec tant de soin, qu'ils ne souillent d'aucune tache leur adolescence et qu'ils s'approchent de l'autel du Christ, comme une vierge quittant sa couche immaculée. La pureté de leur âme doit être si grande, qu'ils ne veuillent écouter aucun discours, ni regarder aucun lieu impudique. Et, afin de n'être pas vaincue parles excitations qu'ils portent en eux, il est nécessaire que leur chair agitée soit domptée par des jeûnes fréquents. Il vaut mieux sentir l'estomac souffrir, que l'âme. Bienheureux le jeune homme qui reste pur de corps et de coeur. Pour lui, sans nul doute, la chair et le sang de notre Rédempteur sont salut et vie. Il en est qui, par respect humain, pour éviter la confusion, nullement retenus par la crainte de Dieu, pleins de souillures, osent se mêler à des mystères si redoutables. Qu'ils entendent ce qui est écrit : « L'homme voit la face, Dieu voit le coeur (I Reg. XIII, 7). » Mais ils redoutent plus les hommes que le Seigneur. O aveugle témérité! O étonnante patience du Seigneur ! Furent-ils aussi coupables, ceux que le feu consuma ou que la terre engloutit vivants (Lev. X, 2)? La faute des enfants d'Aaron qui offrirent un feu étranger, est-elle comparable au crime de ces malheureux qui reçoivent, pour leur perte, des sacrements si redoutables? Car nous devons vivre de sorte que nous soyons toujours prêts à recevoir le pain au dessus de toute substance, parce que malheur à l'homme qui s'éloigne de lui, mais bien davantage malheur à qui s'en approche immonde et souillé. D'un coté et de l'autre, péril effroyable. Aussi il y a une nécessité pressante de n'être point trouvés indignes. C'est pourquoi, en toutes nos démarches, il faut avoir la modestie pour compagne de la pureté; en sa société, la chasteté elle-même sera encore plus en sûreté. La pudeur est un excellent conducteur pour la pureté; si elle écarte les premiers périls, elle ne laisse pas blesser la modestie. En effet, l'esprit qui n'est point pur se trahit par des yeux hardis et par des paroles trop libres : l'homme extérieur annonce la vie de l'homme qui est au dedans. La jeunesse éprouve des assauts terribles et fréquents du corps : et enflammée par les ardeurs du sang, pour échapper sans blessures, elle a besoin de toute sorte de surveillance. Plus de périls attaquent la pureté, plus de récompenses lui sont réservées : parce que là où le travail est plus fort, la couronne est plus riche.

5. Que ceux qui aiment la modestie prennent exemple sur la mère de Dieu. Bien qu'elle fût excessivement douce,néanmoins, à cause de sa pudeur, elle ne rendit point le salut à l'ange (Luc. X, 29). »Dans la prière, notre modestie plaît beaucoup au Seigneur et nous rend très-agréables à ses yeux. Le publicain ne la portait-il pas dans son extérieur, lui qui n'osait pas lever les yeux au ciel (Luc. XVIII. 13). et n'est-ce pas elle qui attira sur lui les attentions du ciel? Aussi cette vertu le justifia-t-elle au jugement de Dieu, plus que ce Pharisien que la présomption rendit si difforme. Prions, nous aussi, autant que nous pouvons, dans la pureté d'un esprit calme et modeste, car cet esprit est riche devant le Seigneur. Et lorsque Saint Paul (I Tim. II, 2) ordonne de faire les prières avec modestie et sobriété, il veut que cette vertu passe la première, et ouvre, pour ainsi dire, le passage à la prière qui va suivre, afin que les voeux des pécheurs ne sentent pas l'orgueil, et que recouverts de la rougeur de la pudeur, plus ils sentent de honte au souvenir de leurs péchés, plus ils obtiennent de grâces.

6. Il faut également observer la modestie dans le mouvement, dans 1e port et la démarche. L'état de l'âme se trahit dans l'état du corps. Ainsi l'homme, caché dans notre coeur, est estimé et jugé comme plus léger, plus suffisant, plus turbulent, ou au contraire comme plus grave, plus constant, plus pur et plus mûr. Le mouvement du corps est, pour ainsi dire, laie sorte de parole de l'esprit. Souvent par la démarche on saisit quelle est l'âme. Dans les pas de plusieurs se fait remarquer une sorte de légèreté, comparable à celle des bouffons qui courent dans les amphithéâtres. Il eu est qui, en marchant avec lenteur, imitent les poses des histrions, la gravité de ceux qui portent les plats dans les repas sacrés, ou les mouvements des statues qui vacillent et s'agitent, de telle sorte qu'à chaque pas qu'ils font, ils semblent se mouvoir en cadence. Courir ne me semble pas convenable, à moins que quelque péril ne survienne, ou qu'une juste nécessité ne presse. Car la plupart du temps nous voyons ceux qui galopent décomposer, haletants, leurs visages : s'ils n'ont pas un motif qui rende cette précipitation nécessaire, c'est une taché qui blesse et offense avec raison. Je ne parle point ici de ceux qui, une fois ou l'autre, sont contraints par une raison légitime, de prendre la course, je parle de ceux qui sans cesse et par habitude, volent avec cette rapidité. De même que, dans les premiers, je n'approuve pas la raideur des statues, de même en ceux-ci, je blâme les mouvements fatigants des coureurs. Il est une démarche agréable en laquelle on voit une sorte d'autorité, un certain poids de gravité, un certain indice de tranquillité : démarche telle que l'affectation et l'apprêt en étant bannis, le mouvement en est simple et sans affectation. Rien de fardé ne plaît. Que la nature dirige le mouvement. Si la nature a produit quelque défaut, que l'industrie le corrige : où manque l'art, que la correction se fasse sentir. Que si ces règles s'appliquent à la simple marche , à combien plus forte raison faut-il veiller à ce que rien de vil ne sorte de la bouche ? C'est là ce qui souille l'homme grandement. Ce n'est pas la nourriture qui salit, c'est la détraction injuste, c'est la parole obscène. Voilà ce qui, même aux yeux du vulgaire, est une matière de honte.

7. Que dans la vie religieuse que nous avons embrassée, aucune parole ne blesse la modestie, parce qu'elle serait déshonnête. Non-seulement nous ne devons rien dire de malséant, mais nous ne devons pas même écouter des expressions indécentes, parce que se plaire à écouter quelqu'un, c'est l'exciter à parler. Ouir ce qui est honteux, est une chose très honteuse : porter par hasard les yeux sur un objet de ce genre, quelle horreur ne doit-ce pas être pour nous? Ce qui déplaît dans les autres, peut-il donc ne pas déplaire en soi-même? La nature ne nous donne pas d'autre leçon : elle a parfaitement établi toutes les parties de notre corps, de manière à pourvoir à la nécessité, et à produire des effets gracieux : celles qui par leur beauté, sont faites pour plaire au regard, en qui éclate le plus la beauté, sont placées comme au point le plus élevé où brille la douceur du visage et sa splendeur : les autres qui servent à agir, la nature les a laissées libres et pouvant se mouvoir en avant du corps. Quant à celles qui servent aux différentes nécessités, pour qu'elles ne donnassent pas, en se produisant, un spectacle peu gracieux, elle les a cachées en partie dans l'homme et lui a appris, du reste, à les couvrir. Là nature ne nous enseigne-t-elle donc pas la modestie? A son exemple, la modestie a couvert et caché ce qu'elle a trouvé de caché dans la structure de notre corps. Son auteur a tellement pris souci de la modestie, il a si bien observé la décence et l'honnêteté dans nos membres, qu'il a placé les conduits de nos excréments en arrière pour les éloigner des yeux, et ana que leur vue ne blessât pas nos regards. L'Apôtre parle en ces beaux termes de cette attention : « Les membres de notre corps, dit-il, qui sont plus faibles, sont plus nécessaires : et ceux que nous regardons comme les moins nobles, nous les entourons de plus d'honneur, et ceux qui sont déshonnêtes, obtiennent beaucoup plus d'égards (I Cor. XII, 23). » Car, à l'imitation de la nature, l'industrie a accru la grâce, au point que non-seulement nous dérobons à nos yeux, mais encore, que nous regardons comme dés honnête d'indiquer et le nom et l'usage des membres, que nous avons appris à cacher. Et si par hasard ces parties se découvrent, on est couvert de honte ; que si on les montre à dessein, cette hardiesse est regardée comme impudence.

8. Comme donc, dans certains membres du corps de l'homme, il y a tant de honte qu'on ne peut les nommer sans rougir, combien vils et impudents sont ceux qui non-seulement regardent avec désir ces parties secrètes, mais encore les touchent avec délectation ? J'ai honte de redire ce que font ceux que tourmente la passion sodomique : Dieu est tellement irrité contre eux, et, dans son jugement équitable, il les a tellement livrés au sens réprouvé, que le mâle exerce sa turpitude sur le mâle. Ces malheureux ne sont-ils pas devenus pires que les animaux saris intelligence? Si Cham, pour avoir ri de la nudité de son père, fut maudit dans son fils, de quelle malédiction seront-ils frappés, ceux qui, dans le désir de péché, découvrent leurs membres honteux et ceux des antres ? Plût au ciel qu'ils vissent combien, par de si horribles excès, ils offensent le Seigneur!

9. Il s'en trouve aussi qui aiment, louent, considèrent et honorent les hommes qui sont beaux et méprisent ceux qui sont disgracieux. Ceux qui ont les yeux sains n'aiment et ne respectent que la seule beauté de l'âme. Quelle est donc cette beauté qu'unefiévrotte enlève et que les rides de la vieillesse font si bien disparaître, qu'on dirait qu'elle n'a jamais existé? Et cependant, ceux qui ont cette beauté fragile sont exaltés; et, bien qu'ils soient privés de vertus, ils se regardent comme glorieux seulement à cause de cet éclat. Pour nous, nous ne mettons pas la place de la vertu dans la beauté; nous n'excluons cependant point la grâce, car la modestie a coutume de couvrir de pudeur les visages, et de les rendre plus gracieux. Comme l'ouvrier travaille mieux dans une matière plus commode, ainsi la modestie éclate davantage dans la beauté du corps, pourvu néanmoins que cette beauté extérieure ne soit pas affectée, qu'elle soit naturelle, simple, plutôt négligée que recherchée, ne se rehaussant point par des vêtements précieux et éclatants, mais n'en employant que de vulgaires, qui ne laissent rien à désirer à (honnêteté ou à l'utilité, sans rien donner au faste. Que le son de la voix ne soit pas lâche, qu'il ne soit pas brisé, qu'il n'ait rien d'efféminé (ainsi que plusieurs affectent de l'avoir, sous prétexte de gravité), mais qu'il conserve son accent, un mode et une force virile. La beauté de la vie consiste à donner à chaque sexe et à chaque individu ce qui lui convient. Voilà la meilleure règle des gestes, voilà l'ornement qui s'adapte à toute action. Mais, comme je n'approuve pas un son de voix ou un geste du corps mou et brisé, ainsi je ne crois pas qu'il faille imiter une nature sauvage et agreste. Cette discipline doit avoir pour marque d'être frappée au coin de l'honnêteté. Que le jeune homme marche sur les traces d'Isaac et de Joseph, qu'il soit modeste, chaste, simple et sobre : humble, obéissant, patient, qu'il pardonne les injures, qu'il fasse comme Daniel et les trois enfants : qu'il se livre à la sagesse et non aux entraînements de la gourmandise. Gros ventre n'engendre pas petit sens. Qu'il fuie l'ivresse comme un poison, s'il veut être religieux et sage, qu'il n'exhale jamais l'odeur du vin, pour ne pas s'entendre appliquer cette parole d'un philosophe: «Ce n'est pas donner un baiser, c'est verser à boire. » Qu'il aime la science des saintes Écritures, pour que son esprit ne soit pas exposé aux pensées lascives. Bienheureux qui, lisant ces sentences divines, convertit les paroles en actes! Qu'il s'abstienne de la colère, et qu'il fuie les procès, afin de montrer à ce signe que ses moeurs sont bonnes : qu'il se conduise avec tant de sagesse, que les vieillards, au milieu desquels il vit, en admirant sa manière de vivre, ne puissent dédaigner son âge. Que parmi ses égaux il soit le premier à la besogne et le dernier en place ; et qu'il s'applique à toutes les vertus avec tant de zèle et de succès qu'il ne soit le second de personne.

 

 

CHAPITRE III. Que les relations des jeunes gens avec les vieillards servent au progrès dans la vertu.

 

10. II me plaît de m'arrêter encore sur ce beau sujet de la modestie, parce que je m'adresse à des personnes qui n'en connaissent pas les biens ou la perte par leur propre expérience. Il faut suivre l'ordre de la vie. Que les fondements soient posés sur la modestie : cette vertu a pour compagne familière la placidité de l'âme, elle fuit la pétulance, étrangère à tout luxe, elle chérit la sobriété, elle cultive l'honnêteté, elle ne recherche rien de ce qui est éclatant. Qu'après cela vienne le choix des sociétés, afin que ces jeunes âmes s'allient à des vieillards éprouvés. Car si la société des égaux est plus douce, la fréquentation des vieillards est plus sûre; par leur autorité et leur expérience, ils forment les moeurs des jeunes gens et leur donnent, pour ainsi parler, la teinte de la probité. Si ceux qui ne connaissent pas la position des lieux s'attachent, avant de se mettre en route, à ceux qui sont fixés sur les directions à prendre, à combien plus forte raison, les jeunes gens doivent-ils entrer dans un chemin nouveau en compagnie des vieillards, afin d'être moins exposés à errer et à s'écarter du sentier de la vertu Il n'y a rien de plus beau que d'avoir les anciens pour conducteurs et pour témoins de sa marche. La réunion des jeunes et des vieux est pleine de charmes. Les uns sont pour enseigner, les autres pour consoler; les uns délassent, les autres honorent. Nous lisons que Barnabé prit Marc, et Paul, Silain, Timothée et Tite (Act. XV, 39), afin que les plus âgés donnassent les conseils, et les plus jeunes exerçassent le ministère. Car si les animaux, si les bêtes sauvages, si les oiseaux et les abeilles, ont des chefs et suivent leurs guides, combien plus, les hommes ne peuvent-ils rester sans docteur et sans conducteur ? II faut donc veiller à ce que les jeunes gens et les enfants n'entrent point sans directeur dans une route qu'ils n'ont jamais faite, et prendre garde qu'en s'écartant, ils ne tombent dans l'erreur, et qu'en courant plus ou moins qu'il ne faut, ils ne se fatiguent ou ne s'endorment. Bien des fois il arrive que des per sonnes, égales en vertus, mais d'un âge disproportionné, se trouvent heureuses d'être ensemble, ainsi qu'il arrive à Pierre et à Jean. Car nous lisons que Jean était un jeune homme, bien qu'en vertu il ne le cédât à aucun vieillard. En lui se faisait remarquer la vieillesse vénérable des moeurs, et la prudence blanchie de toutes les vertus. C'est une grande consolation en cette vie, d'avoir quelqu'un à qui l'on puisse ouvrir son coeur, à qui l'on fasse part de ses secrets, à qui l'on confie les mystères de son âme, que l'on aime et que l'on suive, qui prenne part à vos tristesses avec une tendresse paternelle, qui vous encourage dans les adversités et qui s'associe à vos joies. Qu'une telle société, qu'une amitié si douce est aimable ! On ne trouve rien de plus beau dans toutes les choses humaines. Attachons-nous donc à la pudeur ou à cette modestie qui nous procure ce qui fait l'ornement de toute la vie.

11. La modestie est une grande et inséparable compagne de la pudeur : relâchant de ses droits, n'usurpant jamais rien, ne réclamant rien et comme très-serrée en elle-même, elle est riche aux yeux de Dieu. La modestie est pudique et la pudeur est modeste : elle ne tend de piéges à personne, blessée elle ne s'irrite pas, regardant tout le monde avec simplicité, elle ne conçoit aucun soupçon sinistre. Attachons-nous à elle, aimons-la dès notre enfance : afin de pouvoir la conserver, nous devons éviter la familiarité et la conversation de ceux qui mènent une conduite honteuse et déréglée. Le nombre de ces malheureux est incalculable. La pudeur a ses écueils, écueils qu'elle ne porte pas avec elle, mais auxquels elle est exposée, quand on tombe dans la société des personnes intempérantes qui corrompent ceux qui sont bons, sous apparence d'honnêteté. Si on les fréquente assidûment surtout dans les repas; les jeux, les rires et les divertissements, elles énervent la gravité viriles elles pervertissent les âmes tendres et les habituent à leurs mauvaises actions. Prenons garde, par conséquent, en voulant relâcher l'esprit, de détruire toute l'harmonie et, pour ainsi le dire, tout concert des bonnes oeuvres. Car la pratique fléchit promptement la nature. Combien ont été trompés par la fréquentation des insensés 1 qu'avons-nous à démêler avec les fables, avec le rire et les jeux ? Car encore que les réjouissances soient parfois honnêtes, elles s'éloignent cependant de la règle ecclésiastique; comment, en effet, pouvons-nous pratiquer ce que nous ne trouvons pas dans les saintes Écritures? Nous devons éviter tout ce qui peut affaiblir la gravité de la vie que nous avons embrassée et que nous suivons. Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez (Luc. VI, 25) dit- le Seigneur. Nous cherchons donc de quoi rire, afin que, riant sur la terre, nous pleurions plus tard ? Nous lisons que le Seigneur pleura (Luc. XIX, 41). Je crois qu'il faut éviter tous les jeux, et ne pas se borner à fuir ceux qui sont excessifs: à moins que, par hasard, ce soit chose peu séante, que la conversation soit pleine de grâce et de gravité. Nous devons donc gémir sans cesse et, fuyant toute sécurité, il faut pleurer dans la crainte qu'abandonnés par le Seigneur, à cause de notre orgueil et de nos négligences, nous ne tombions au pouvoir du démon. Celui que Dieu abandonne, les démons le saisissent, et après avoir mis les mains sur lui, ils en font le compagnon de leur malheur. Le Seigneur est terrible dans ses conseils sur les enfants des hommes (Psal. LXV, 5). Le potier, de la même pâte fait ici un vase d'honneur, et là un vase d'ignominie. Il y a des vases de miséricorde, il y a des vases de colère (Rom. IX, 21). Les derniers sont les premiers, et les premiers sont les derniers (Matth. XX, 27). Beaucoup sont appelés, et peu sont élus. Aussi, que chacun de nous opère son salut, comme le dit l'Apôtre, avec crainte et tremblement (Phil. II, 12), qu'il fuie la vanité, et méprise l'amour du monde. Qu'il embrasse le deuil et le repos, qu'il cultive, autant qu'il sera en son pouvoir, la pudeur, et une douceur tranquille: qu'il fasse en sorte de vivre en paix avec les hommes, et qu'il rougisse en présence de tout ce qui est déshonnête.

 

CHAPITRE IV. Que le silence convient surtout aux jeunes gens.

 

12. Il faut louer la vertu de modestie : quand elle règne chez quelqu'un, elle ne permet pas à ses yeux, à ses oreilles et à sa langue, de se laisser aller honteusement aux ris et aux jeux : elle le rend grave et doux. Au contraire, l'impudence des jeunes gens est un grand vice; dans sa dissolution et son audace, elle attaque pères et frères parce que comme il est écrit, elle ne respecte ni Dieu ni les hommes (Luc. XVIII, 2), mais elle se réjouit quand elle a fait le mal, et elle tressaille en des choses très-mauvaises (Prov. II, 14). Elle a un front de prostituée, parce qu'elle ne peut rougir (Jer. III, 3). Où la langue est audacieuse et le front hardi, elle ne prend souci, ni de ce qu'elle dit, ni de ce qu'elle fait. Lorsque les jeunes gens doux et bons respectent les anciens en se taisant, que personne ne voie là l'éloge de la taciturnité seule, car le silence lui-même, en lequel est le repos des autres vertus est un très,grand acte de modestie. Si ce silence est naturel, ou bien on l'attribue à l'enfance, ou bien on le reproche à l'orgueil ; que s'il vient de la pudeur et de la retenue, on le loue. Suzanne se taisait dans les dangers qu'elle courait, et elle craignait davantage de perdre la modestie que de perdre la vie, lorsqu'elle s'adressait à celui-là seul à qui elle pouvait parler avec une chaste pudeur (Dan. XIII, 42). Le gracieux Joseph s'enfuit en laissant son manteau entre les mains d'une femme impudique, et, en se taisant, il prit promptement la fuite du lieu où il ne pouvait rester longtemps, entendant des propositions qui alarmaient sa modestie (Gen. XXXIX, 12). Moïse Jérémie excusaient, par pudeur, ce dont la grâce les rendait capables (Exod. III, 11, et Jerem. I, 6). Il est plus sur d'apprendre que d'enseigner, de se taire que de parler. Quel bien plus grand pour la modestie, que la règle qui veut que le jeune âge apprenne, avant tout, à se taire ? Pythagore imposa la loi du silence à ses disciples, afin qu'ils apprissent à 'parler en se taisant pendant cinq ans, et vous ne voulez point vous taire, vous à qui la vertu du silence appartient en propre? Qu'est-il besoin, ô jeune homme, de vous jeter avec empressement dans le péril de parler, quand vous pouvez vous tenir en sûreté dans le silence? J'ai vu plusieurs pécher en parlant, je n'ai presque vu personne manquer en se taisant. Savoir se taire est plus difficile que parler. Je sais que plusieurs parlent, ne sachant point garder le silence. Il est rare qu'un homme se taise, lorsqu'il ne lui sert de rien de parler. Le sage est donc celui quia appris à se taire. Retenez votre discours comme par un frein, c'est l'avis que je me permets de vous donner, qu'il n'exalte pas, qu'il ne suive pas tous vos caprices, que, dans son flux de paroles, il n'entasse pas péché sur péché, qu'il soit retenu et comme contenu dans ses digues. Le cours d'eau qui déborde ramasse de suite la boue.

13. Que votre démarche soit lente, votre conversation grave, vos paroles mesurées. Si vous observez ces règles, vous serez doux, affable et modeste. Gardez votre coeur et retenez votre langue. Un esprit bon est une grande possession. Entourez-la et défendez-la de tous côtés, que les passions déraisonnables du corps ne se précipitent pas sur lui et ne le traînent point en captivité. Veillez, autant que vous le pourrez, sur votre homme intérieur. Ne le négligez pas, ne le prenez pas en dégoût, comme s'il était chose vile ; c'est un bien très-précieux : ses fruits ne sont ni temporels ni caducs, ils sont stables et se rapportent au salut éternel. Si vous voulez le bien garder, observez d'abord le silence, écoutez, et ne péchez point par la langue. C'est un grand mal d'être condamné par sa propre bouche. Et si chacun, au jour du jugement, rendra compte d'une parole oiseuse, combien plus rendra-t-il compte d'une parole impure, honteuse et impie ? Prenons garde aussi de ne point avoir à rendre compte d'un silence oiseux. Car il est un silence fructueux et important. Nous taisant devant les hommes, nous parlons mieux à Dieu. Il y a bien des contemplations, en lesquelles l'âme dévouée à Dieu trouve, en se taisant, une nourriture merveilleuse. Le prophète David nous a appris à nous promener dans notre coeur, comme dans une grande maison, et à vivre avec lui comme avec un bon compagnon de chambre, lorsqu'il s'adressait ces paroles : J'ai dit : je garderai mes voies (Psalm. XXXVIII, 1). Moïse parlait dans le silence, et il travaillait dans le repos (Exod. XIV et XVI).

14. Quand donc le juste est-il seul, lui qui est toujours avec Dieu? Est-il solitaire celui qui ne se sépare jamais de Jésus-Christ? Finit-il d'agir celui qui ne cesse point d'avoir le mérite qui couronne les oeuvres? Est-il circonscrit dans des liens celui qui tient en sa possession un monde de richesses? comment assez estimer celui que l'action n'occupe pas tout entier ? Tantôt il pense à Dieu, à ses saints anges et à la gloire toujours brillante de l'éternelle béatitude; tantôt, aux ruses du démon, à ses péchés, à l'heure de la mort, aux peines de l'enfer, au jour redoutable du jugement; tantôt, à la profondeur des divines écritures, à la nature des vertus et à la bonne direction des mœurs. Qu'un tel silence est glorieux, là où les paroles du Seigneur sont des paroles chastes. Il existe donc une manière de se taire et une manière de parler. L'esprit sage et bon, avant de parler, fait beaucoup de considérations que dire, à qui parler, en quel lieu et en quel temps? On doit appeler, avec raison, sage, celui qui connaît le temps de parler. Aussi l'Écriture dit fort bien : Le sage se taira pour un temps (Eccli. XX, 7). Aussi, les saints du Seigneur aimaient à se taire, parce qu'ils savaient que la voix de l'homme est souvent liée au péché, et que le commencement de l'erreur de l'homme est la parole humaine. Le saint roi David a dit: J'ai mis une garde à ma bouche (Psalm. XXXVIII, 1). Le Prophète la gardait et vous ne la garderiez pas ? Vous pouvez la garder, si vous n'êtes pas prompt à parler.

 

CHAPITRE V. La promptitude de l'obéissance est recommandée à la jeunesse.

 

15. La loi dit : Écoute, Israël, et le reste (Deut. VI, 3). Écoute, dit-elle, et non : parle. C'est un devoir pour votre âge de se taire, d'obéir et de ne point juger des décisions du chef. Il est encore écrit : Écoute, Israël, et tais-toi. Isaac honorait son père, et, obéissant à sa volonté, il ne refusait pas de mourir (Gen. XXII, 2). Jésus, fils de Navé, vénérait Moïse, et se tenait toujours prêt à le servir : et, par cette soumission de tous les instants, il fut si agréable à Dieu, qu'il fut choisi pour régir le peuple de Dieu après lui (Dent. XXXI, 23). Élisée, quittant la charrue après avoir tué ses boeufs, suivit Élie qui l'appela, et, par une obéissance vraie et douce, parvint à une telle sainteté de vie, que l'esprit de son maître si éminent se reposa doublement sur ce parfait disciple (IV Reg. II, 9). Abraham, vieillard fidèle, sur l'ordre de Dieu, abandonna la terre de sa naissance, et encore qu'en plusieurs lieux il souffrit beaucoup d'injures et éprouvât bien des fatigues, jamais il ne se repentit d'être entré dans le chemin de l'obéissance (Gen. XII, 1). Sa docilité et sa foi furent tellement agréables au Seigneur, que c'est à lui que fut faite la première promesse concernant le Christ. Enfin, Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, par ses paroles et ses actions, nous a été un grand maître de cette vertu. Car la véritable soumission, pratiquée pour l'amour de Dieu, est la mortification de la volonté propre : ayant de soi des sentiments bas et vifs, elle se prépare à observer une obéissance qui est agréable au Seigneur et douce aux hommes. La volonté propre qui découle de l'orgueil du libre arbitre, convertit même le bien en péché dans ceux qui sont désobéissants et obstinés. Que l'homme du bien s'attache à pratiquer l'obéissance avec toutes les bonnes qualités qu'il possède, car il est écrit : l'obéissance est meilleure que les victimes; il vaut mieux écouter qu'offrir la graisse des béliers; c'est comme le péché de consulter les devins, que de regimber, et comme le crime d'idolâtrie, que de ne pas vouloir être docile (I. Reg. XV. 22),» Vous voyez quel grand crime est le péché de désobéissance, puisqu'on le compare à l'idolâtrie et à la magie. Les jeunes gens attaqués de ce vice, dédaignent de se soumettre aux anciens : ce qu'ils leur voient faire ou entendent dire, ils ne l'observent pas, ils le critiquent; ils ne le vénèrent pas, ils le méprisent et s'en moquent.

16. Ce n'est pas impunément. Ces malheureux, ils trouvent matière à tomber là où ils devaient trouver de quoi progresser. Dieu veut que l'homme soit instruit par l'homme, et que le plus petit soit soumis au plus grand. Si l'ange commande à l'ange, et si entre celui qui donne des ordres et celui qui les reçoit, règne toujours une grande concorde, que celui qui désobéit voie combien il pèche grièvement, en ne rendant pas à ses inférieurs l'obéissance qui leur est due. On pourrait s'étendre beaucoup sur la perte de ceux qui ne sont pas dociles, et qui méprisent leurs chefs et leurs guides, mais, me rappelant que j'ai promis d'être court, je passe tous ces développements sous silence. Pourquoi ajouter d'autres détails, encore ? Pour ceux qui obéissent et pour ceux qui n'obéissent pas, cette sentence, proférée par la Vérité elle-même, peut suffire : « Qui vous écoute, m'écoute ; et qui vous méprise, me méprise (Luc. X, 16). » Que ceux-là conséquemment tressaillent qui vénèrent et honorent leurs anciens à eau se de Jésus-Christ. Plusieurs auteurs ont beaucoup écrit sur la vertu d'obéissance : parmi eux, notre père saint Benoit en a parlé d'une façon si terrible, que ces expressions sont capables de saisir d'une frayeur excessive les coeurs des religieux même bien obéissants. Mais le grand docteur Grégoire, à la bouche de miel, l'exalte et la glorifie merveilleusement : cet homme éloquent, voulant faire voir quel est le grand mérite de cette vertu, s'exprime en ces termes : « Seule, l'obéissance est la vertu qui introduit les autres vertus dans l'âme, et les conserve après les y avoir introduites. De là vient que le premier homme reçut un commandement qu'il avait à observer : s'il avait voulu le garder, il serait arrivé sans fatigue à la béatitude éternelle. » Ensuite le même saint, exposant les paroles citées plus haut, paroles que le Saint-Esprit prononça par la bouche de Samuël, dit : « C'est avec raison que l'obéissance est préférée aux victimes; parce que, dans les sacrifices, c'est une chair étrangère qui est immolée; par l'obéissance, c'est la volonté propre. Chacun apaise promptement le Seigneur, d'autant plus qu'aux yeux de sa divine majesté l'orgueil du libre arbitre réprimé s'immole sous le glaive du commandement. Il donne à la désobéissance le nom du péché de magie, afin de faire voir combien grande est la vertu de soumission. Son contraire fait mieux voir en quelle estimé il la faut avoir. Si c'est comme le péché de consulter les augures que de regimber, et comme le crime d'idolâtrie que de ne pas vouloir acquiescer, seule, l'obéissance a le mérite de la foi, sans elle, on est convaincu d'être infidèle, bien, qu'on paraisse chrétien.

17. De là vient que, pour faire connaître cette vertu, Salomon a dit : « L'homme obéissant racontera des victoires (Prov. XXI, 28). » Oui, l'homme docile redit des triomphes, parce que lorsque nous nous soumettons humblement à la parole d'un autre, nous nous surmontons nous-mêmes dans notre cœur. Aussi la Vérité a-t-elle dit en l'Évangile : « Celui qui vient à moi, je ne le mettrai pas à la porte parce que je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de celui qui m'a envoyé (Joan. VI, 38). » Quoi donc ? s'il avait suivi son bon plaisir, Jésus aurait donc repoussé ceux qui viennent à lui? Qui ne sait que la volonté du Fils ne diffère pas de la volonté du Père? Mais parce que le premier homme, n'ayant pas voulu faire cette volonté, fut exclu des délices du paradis; le second, venant pour opérer la rédemption des hommes, nous a appris à rester dans l'intérieur, quand il nous a fait voir qu'il accomplissait la volonté de son Père, et non la sienne propre. Lors donc qu'il exécute, non sa volonté, mais celle de son Père, il ne met point à la porte ceux qui viennent à lui, parce que, nous soumettant au joug de l'obéissance par son propre exemple, il nous ferme l'issue qui nous laisserait sortir. Aussi, dit-il encore : « Je ne puis rien faire de moi-même, mais je juge comme j'entends (Joan. V, 30). » On nous ordonne de pratiquer cette vertu jusqu'à la mort. Le Seigneur juge comme il entend, il obéit donc, même lorsqu'il vient comme juge. Pour que cette soumission, qui doit durer jusqu'au terme de la vie présente, ne paraisse pas laborieuse, notre rédempteur nous marque qu'il l'observe, même lorsqu'il viendra pour juger. Qu'y a-t-il donc d'extraordinaire à ce que l'homme pécheur soit obéissant durant le court espace de cette vie, lorsque le médiateur de Dieu et des hommes n'abandonne pas cette vertu, même lorsqu'il récompense ceux qui ont obéi?

18. « Il faut savoir que l'obéissance ne fait jamais commettre le mal ; mais parfois elle oblige à omettre le bien que l'on pratique. Dans le paradis, il n'y avait pas d'arbre mauvais, que Dieu défendit à l'homme de toucher, mais afin que l'homme heureusement créé acquît, par l'obéissance, des mérites plus grands, il avait été convenable de l'éloigner de l'arbre bon et de son légitime usage, de sorte que plus il était vrai que ce qu'il faisait était vertu que plus il s'abstenait d'une chose bonne, plus il se soumettait humblement à l'auteur de ses jours. Mais comme on nous commande tantôt des choses désagréables, tantôt des choses plaisantes et heureuses, il faut savoir avant tout, que si l'obéissance a parfois du sien, elle est nulle; que si, en d'autres cas, elle n'a pas du sien, elle est chose très-médiocre. Car lorsqu'on ordonne, ce qui est succès selon le monde, de monter à une position élevée, celui qui obéit en telles matières perd le mérite de sa docilité, s'il est porté à obéir par ses propres désirs. Il n'est pas dirigé par l'obéissance celui qui obéit à la passion de son ambition qui le pousse à soupirer après les prospérités de ce monde. D'un autre côté, quand on nous commande d'être méprisés, de subir les affronts et les hontes, si l’âme ne se porte d'elle-même vers ces amertumes, elle diminue le mérite de son obéissance, parce que c'est contre son gré et son inclination qu'elle descend à ce qui est vil en cette vie. Elle est amenée à perdre l'obéissance, lorsque ses voeux n'accompagnent pas l'esprit pour lui faire accepter, au moins en quelque partie, ces rebuts. Dans l'adversité, l'obéissance doit donc avoir quelque chose qui vienne de son fonds; et dans l'adversité, il faut qu'elle n'ait rien de soi : de sorte que, dans l'épreuve, elle est d'autant plus glorieuse, que c'est son désir intime qui l'attache à ce que Dieu veut, et d'autant plus sincère, dans le bonheur, que du fond du coeur, elle est éloignée de la gloire qu'elle rencontre, d'après les dispositions du ciel. »

19. Dans les témoignages si éclatants d'un tel docteur, Moïse et saint Paul sont signalés sans nul doute en leur conduite. Cherchez et lisez comment se sont comportés ces deux saints personnages. Cependant, au milieu de tout ceci, il faut savoir que la vertu d'obéissance s'unit toujours à l'innocence de l'âme; c'est le Seigneur qui l'atteste par ces paroles : « Mes brebis entendent ma voix et je les connais, et elles me suivent. (Joan. X, 14). » Il n'obéit pas à son rédempteur, celui qui n'est pas innocent, et il ne peut être innocent, celui qui refuse de se soumettre. Mais il est nécessaire que l'obéissance se pratique non par crainte servile, mais par sentiment d'affection : non par la terreur qu'inspire le châtiment, mais par l'amour de la justice. Pas d'innocence, nulle obéissance, si la charité ne brille pas en ces vertus. cette charité qui les surpasse toutes. Souvent une fausse soumission se cache sous l'apparence de la crainte. Que si donc vous voyez un jeune homme lent à obéir et prompt à parler, ne doutez pas qu'il est dévoré de plusieurs passions, et surtout de la peste de l'orgueil. Car la désobéissance suit l'orgueil qui la produit, comme vous le voyez en ce texte : « Le cheval indompté s'échappera terrible, et le fils abandonné à lui-même roulera aux abîmes (Eccl. XXX, 8). » Comme l'orgueil du cheval indompté se précipite vers la mort : de même, la liberté du jeune homme indiscipliné est près de le mener à la ruine du péché. Parlez, vous qui êtes plus âgé, c'est à vous qu'il convient de prendre la parole : «Jeune homme, parlez à peine en votre propre cause, lorsque ce sera nécessaire. Quand vous aurez été interrogé deux fois, que votre bouche réponde. En beaucoup de choses soyez comme qui ne sait rien, écoutez, vous taisant et cherchant tout à la fois. Au milieu des grands n'ayez pas la hardiesse de parler, et là où sont les vieillards, soyez bref. Avant la grêle marche l'éclair, et devant la modestie marche la grâce, et pour la pudeur on aura bonne grâce (Ibid. XXXII, 10). » Par ces paroles du sage vous pouvez comprendre combien les vertus dont nous venons de parler ornent le jeune âge.

 


CHAPITRE VI. De la chasteté, de l'humilité et de la patience.

 

20. Les enfants (pueri) tirent leur nom de la pureté : et il convient qu'en leur âme règnent la simplicité, l'innocence, la pureté,c'est-à-dire la virginité. Que ces vertus croissent et persévèrent en eux, afin qu'ils méritent de suivre l'agneau partout où il ira. Que les adolescents, croissant chaque jour dans les bonnes oeuvres, ainsi que le marque ce mot, chérissent la pudeur et s'attachent avec ardeur à l'obéissance. Nous avons donné la première place à ces vertus, comme le point de départ de l'accroissement des bonnes oeuvres, en sorte que les âmes, par leur moyen, puissent parvenir directement à la chasteté, à l'humilité et à la patience qui sont au second rang. La chasteté donc, comme les deux sexes sont attaqués par la passions, si elle n'est soutenue des autres vertus, tombe facilement. Aussi, il faut la garder avec un soin excessif, parce qu'on ne répare jamais sa perte, si on a eu le malheur de ne pas la conserver. Les premiers traits qui la blessent sont ceux des yeux; les seconds, ceux des paroles. Aussi, elle trouve un grand secours dans la pudeur qui retient les regards, et dans le silence qui garde la langue, et dans l'obéissance qui occupe l'esprit et fatigue le corps par les jeûnes, les veilles, les prières, et le travail des mains. Mais par dessus tout, l'humilité leur est nécessaire, l'humilité qui conserve jusqu'à la fin les biens qu'elle possède. Car plusieurs, même dans la vieillesse, sont tombés, par l'orgueil, dans la luxure. C'est pourquoi il est à redouter et il faut éviter qu'une chaleur subite ne triomphe d'une longue expérience et que l'impureté ne condamne des vieillards souillés. Il faut donc toujours pratiquer l'humilité qui est la gardienne de la pudeur et la mère de la patience. Il travaille en vain, celui qui ramasse des vertus sans avoir l'humilité. La véritable patience ne s'acquiert et ne se conserve que par une profonde humilité. Qui possède vraiment cette indispensable vertu, n'a besoin ni du bienfait de la cellule, ni du refuge de la solitude; si l'adversité le visite, il ne s'attriste pas, mais aimant toujours son Dieu, tout lui tourne à bien (Rom. VIII, 28). Il craint dans la prospérité, il se réjouit dans la mauvaise fortune. Il aime il porte secours à ceux qui le persécutent, parce que la patience et la bonté l'accompagnent toujours comme deux soeurs inséparables.

21. Si quelqu'un a donc l'âme virginale, s'il chérit la pureté, il ne doit pas se contenter de qualités médiocres qui s'usent vite et se dessèchent à la première chaleur qui se fait sentir; qu'il s'applique à avoir des vertus parfaites, afin de jouir de la lumière éternelle. Qui s'attache à faire des progrès, trouve toujours de quoi avancer, et de quoi devenir meilleur chaque jour. Jeune homme, avancez. Vous êtes attaché au service de Jésus-Christ, vous avez commencé à faire de grandes choses, à imiter les vertus du ciel : que votre coeur se fortifie et agisse virilement. Une grande gloire vous sera donnée après votre victoire. Bien que le chemin par lequel vous marchez soit glissant néanmoins, vous confiant dans le secours du Seigneur, quittez, autant qu'il vous sera possible, les choses d'ici-bas et gagnez les hauteurs. Ne vous abattez pas, ne ralentissez point votre ardeur, afin de pouvoir arriver à ce degré de la perfection que l'on n'atteint qu'après beaucoup de travaux. Courage donc à présent, cher frère, sortez du commencement et tendez vers des régions supérieures, afin de chanter au Seigneur, dans le tressaillement de votre joie, le cantique des degrés. En vous dirigeant du plus bas point vers le faite, une entrée vous est ouverte vers ces quatre vertus principales qui commencent dans les enfants, se développent dans les jeunes gens, et se consomment dans les vieil lards : parce que l'âge mûr, exercé dans beaucoup de travaux, connaît déjà par expérience, ce que la science lui a appris.


CHAPITRE VII. Les quatre vertus cardinales sont décrites avec leurs fonctions. Il en est de même des vertus théologales.

 

22. C'est pourquoi, ce n'est pas sans raison que nous avons mis en troisième lieu la prudence, la force, la justice et la tempérance ; c'est par elles surtout, que les moeurs se forment, et que l'art de bien vivre est enseigné. Parmi ces vertus, la prudence se délecte de la connaissance du vrai. La justice observe la charité envers Dieu et envers le prochain. La force méprise la crainte de la mort. La tempérance règle l'affection de la chair. La première comprend; la seconde vit comme il faut; la troisième réprime le désir; la quatrième donne la mesure nécessaire. Les trois premières opèrent ce qui est honnête; la quatrième produit ce beau décorum qui sort de la racine de l'honnêteté, pour ainsi parler. La prudence est la connaissance de la vraie foi, et la science des Écritures; il y faut distinguer ce triple sens : le premier historique, le second allégorique et le troisième supérieur qu'on appelle anagogique. La justice consiste à craindre Dieu, à honorer la religion, à vénérer les parents, à chérir sa patrie, à se rendre utile à tous, à ne nuire à personne, à garder les liens de la charité, à partager les périls que courent les autres, à secourir les malheureux, à rendre la pareille à ceux qui sont bons envers nous, à observer l'égalité en nos jugements. La force est la grandeur d'âme et le mépris des honneurs et des richesses. Elle cède patiemment à l'adversité, ou lui résiste avec force. Nulle tendresse ne la dompte, nul mal ne la brise, la fortune ne l'élève jamais : invincible aux fatigues, elle brave avec force les dangers; elle dédaigne l'argent, fuit l'avarice, prépare son âme à tous les périls, elle ne cède à aucun chagrin, elle évite le désir de la gloire. Mais parmi ces vertus, il faut toujours observer la tempérance. Elle consiste à régler sa vie en toute parole ou en toute action. Elle est la compagne de la sobriété et de la pudeur, qui est désignée aussi sous un autre nom : on l'appelle modestie. Elle observe la règle de l'humilité, elle garde la tranquillité de l'âme, elle chérit la continence et la pureté, elle favorise la décence et l'honnêteté, elle réprime l'appétit par la raison, elle méprise la colère et ne rend pas les procédés injurieux dont elle peut avoir à se plaindre.

23. Homme de Dieu, renfermez-vous en ces plaies du ciel. Guerrier du Christ, revêtez-vous, défendez-vous et ornez-vous de ces armes. Ce char de feu vous portera, soldat courageux, au bout de la carrière, au palais du ciel, pour que vous vous présentiez à votre roi, pour qui vous avez combattu un bon combat, et à qui vous avez gardé fidélité. Conduisez bien ce chariot à quatre roues, tenez-vous-y bien solide, afin qu'il vous entraîne fort haut, et vous introduise dans la maison à trois compartiments placée au sommet de la montagne. Je veux dire la foi solide, l'espérance inébranlable, la charité parfaite qui éconduit toute crainte servile, lorsque, le coeur dilaté, on court dans la voie des commandements de Dieu. L'âme du juste, devenue de la sorte le siège de la sagesse, porte sur elle-même Dieu et l’entraîne dans sa course égale et modérée. Pour elle, mourir, c'est le Christ, et vivre est un gain. L'homme, séparé et adonné à la contemplation, passe chaque jour, et voit une vision admirable : il est attiré vers Dieu, et court après lui avec un désir ardent. Si vous habitez cette cime élevée et cette demeure ravissante, vous pourrez très souvent regarder cette terre promise, cette terre où coule le lait et le miel, où réside le véritable Israël et où il se nourrit à jamais du pain de la vérité.

24. Mais vous me dites : pourquoi n'avez-vous pas mis en premier lieu la foi qui est dans l'âme chrétienne, le fondement de toutes les vertus? Je le ferais, si la foi ne grandissait pas. Et si elle ne grandissait pas, les apôtres n'auraient pas dit au Seigneur : «Augmentez en nous la foi (Luc. XVII, 5). » Par un exercice continuel des vertus, par la méditation assidue des saintes Écritures, la foi s'instruit, et, en s'instruisant, elle s'illumine, et en s'illuminant elle s'augmente, et en se perfectionnant elle s'affermit, à tel point, que le tourbillon d'aucune hérésie ou d'aucune persécution ne la peut faire vaciller de sa rectitude. Avant donc que l'homme, par la foi, connaisse son créateur, l'ignorance mère de tous les vices possède son âme. L'ignorance c'est donc la nuit, et la foi, le jour. Comme le jour croit par les heures, de même la foi s'augmente par la lumière de la grâce divine et par les enseignements de l'Église notre mère. D'abord donc, la racine pure de la foi sainte est plantée dans la terre du cœur humain; on y insère ensuite le tendre rameau d'un arbre saint, c'est-à-dire la crainte du Seigneur, qui est appelée le commencement de la sagesse (Psal. CX, 9). Avec elle débute et avec elle se développe jusqu'à la plénitude de la lumière. Et quand la foi aura bien crû, comme un grand arbre qui a plusieurs sortes de fruits pour rassasier l'âme pleine de Dieu : alors s'attache à elle cette crainte chaste de l'éternelle charité, qui demeure dans les siècles des siècles (Psal. XVIII, 10). C'est là la foi qui opère par la charité, de sorte que l'homme devient une nouvelle créature, foi, très-prudente et invincible, qui au milieu des attaques, au temps de la persécution et au jour de la nécessité, ne peut être abattue. C'est pourquoi, la foi ferme et la charité parfaite, fidèles compagnes et sieurs inséparables, renfermant en elles toutes les vertus, rendent l'homme parfait, autant qu'il est possible de l'être en cette vie remplie de misères et d'erreurs. Cet homme peut répéter en vérité cette parole de l'Apôtre : « Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? Est-ce la tribulation, l'angoisse, la persécution, la faim, la nudité, le péril, le glaive ? Je suis certain que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les vertus, ni le présent, ni l'avenir, ni la force, ni la profondeur, ni la hauteur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ Notre-Seigneur (Rom. VIII, 85). »

 

CHAPITRE VIII. Il faut marcher avec précaution sur les confins des vertus et des vices.

 

25. Voilà la règle de la bonne vie et l'enchaînement véritable des vertus. Telle est la voie royale empreinte des vestiges des pères qui l'ont suivie. Marchez-y, ô troupes de jeunes gens, et ne vous en écartez ni à droite ni à gauche. Il se détourne à gauche, celui qui s'embarrasse dans les vices déclarés. Il tombe à droite, celui qui n'évite pas, à tout prix, les vices cachés sous l'apparence des vertus. Par ce moyen, beaucoup sont trompés et ignorent qu'ils le sont. L'âme est donc doublement coupable, si elle ne fait pas le bien qui la fera vivre spirituellement, et si elle ignore le malheur dans lequel elle se trouve. L'orgueilleux veut passer pour constant, le prodigue pour libéral, l'avare pour soigneux; le téméraire pour courageux, l'inhumain pour rangé, le gourmand pour humain. L'impudence se fait appeler constance. L'audace prend le nom de liberté. Le bavardage simule l'éloquence, et le péché de curiosité se pare du masque du zèle spirituel. Souvent, sous prétexte de justice, on exerce la cruauté, et on estime vertu ce qui est réellement vice : de même, une grande faiblesse passe pour mansuétude, et ce qui vient d'une négligence excessive passe pour venir de l'indulgence, de la piété. De même encore, la crainte se cache sous l'extérieur de l'obéissance, et on décore du nom de vertu d'humilité, ce qui est pourtant le vice de la crainte. Le péché d'inquiétude veut être appelé vertu de sollicitude : et la facilité qui fait qu'on se précipite, est tenue pour ferveur d'un saint zèle : la lenteur avec laquelle on se met au bien, parait délai accordé à la réflexion, quand cependant ce dernier procès est vertu et l'autre vice. Si le jugement de l'homme peut discerner tout cela, cependant sans le don de Dieu (autant qu'il me paraît), on ne peut ni avoir, ni désirer les vertus, ni en éviter les contrefaçons (car il est des vices qui imitent la vertu).

26. Mais il faut savoir qu'il est des vertus qui sont au sommet, et qu'il en est d'autres qui sont au milieu. Les plus élevées sont l'espérance, la foi, la charité. Ceux qui les ont, les ont véritablement. La doctrine, le jeûne, la chasteté, la science et autres qualités semblables, sont des vertus mitoyennes, parce qu'on peut les posséder pour son utilité ou pour sa perte. La vérité ne peut exister avec le mensonge, la pudeur avec l'audace, la foi avec la perfidie, la chasteté avec la luxure. Contre l'impétuosité des vices, il faut lutter par les vertus contraires; contre la luxure, il faut employer la pureté du coeur ; contre la haine, l'amour; contre la colère, la patience; contre la crainte, la vertu de confiance; contre la torpeur, la ferveur du zèle. A la tristesse il faut opposer la joie; à la paresse, la force; à l'avarice, la générosité; à l'orgueil, l'humilité.

 

 

CHAPITRE IX. L'orgueil et l'avarice sont des vices détestables; ils attaquent même les religieux.

 

27. L'orgueil est le roi et le père des sept péchés capitaux : ce pire de tous les vices est d'autant plus gisant en bas, qu'il se dresse davantage en haut. Les sept péchés principaux, produisent plusieurs autres vices, qui descendent les uns des autres comme par les degrés d'une certaine parenté. Quant à l'orgueil, il est leur père à tous, il est aussi la ruine de toutes les vertus. Dans l'ordre du péché, il est le premier; dans le combat, il est le dernier. De l'orgueil, naît l'arrogance, que nous devons éviter, soit dans nos paroles, soit dans nos actions. Malheur à qui cherche à se plaire, plutôt qu'à plaire à Dieu. C'est par la vaine gloire surtout que le démon se soumet le moine , parce que par elle, le religieux est précipité du faîte de l'humilité. La souveraine vertu du moine, est donc l'humilité; son principal vice, (orgueil. En le livrant à la superbe, en disputant, en argumentant, en mordant, en murmurant, en négligeant, en méprisant, et en faisant sa propre volonté, une infinité de moines qui vivent à présent, tombent dans des fautes. De là vient que dans le grand nombre de personnes qui abandonnent le siècle, ils sont extrêmement rares ceux qui, en mortifiant leurs vices, s'efforcent d'arriver à la perfection des vertus. C'est ce que signifient ces six cent mille hommes armés, qui sortirent d'Egypte parmi eux, deux seulement, Josué et Caleb entrèrent dans la terre promise. Voulant retourner dans le pays de la servitude, ils périrent de plusieurs sortes de morts et restèrent couchés dans le désert (Num. XIV, 30). Par l'Égypte, entendez le monde, par Pharaon, le démon qui règne sur tous les fils de l'orgueil (Job. XLI, 25), par la mer rouge , l'ablution de tous les péchés; par les Egyptiens qui moururent engloutis, les péchés qui forment l'armée de Pharaon. Vous avez déjà quitté l'Égypte, vous avez fui Pharaon et lavé de vos souillures les chariots ensevelis dans les flots, vous avez chanté au Seigneur le cantique de la joie. Entré enfin dans le désert, vous êtes arrivé au mont Sinaï, sur les cimes duquel on vous a donné les préceptes de la vie, et les règles de la discipline céleste: préceptes et règlements que vous avez solennellement promis devant Dieu et les anges, d'observer fidèlement. Quand même vous les auriez accomplis scrupuleusement, ne soyez pas néanmoins en sûreté. Il y a bien des dangers dans le désert que vous traversez. On y trouve ces serpents de feu qui blessent et font mourir ceux qui murmurent. Là est la lèpre qui gagne et humilie ceux qui mordent et qui grognent; là, le glaive cruel qui dévore ceux qui font les idoles et ceux qui les honorent; je veux dire, ces moines qui s'adonnent à l'avarice, qui est la servitude des idoles. L'Apôtre l'appelle la racine de tous les maux (Col. III, 5) ; sachez cependant que ce vice attaque seulement les moines très-négligents. Pour vous, veillez bien à n'avoir ou à ne vouloir avoir rien au delà de la nourriture et des vêtements (I Tim. VI, 8). Détestez l'orgueil ; repoussez la contention, chérissez les directeurs du monastère comme vos parents, craignez-les comme vos maîtres : tenez pour salutaire ce qu'ils ordonnent.

28. Mais vous ne pouvez observer ces règles que lorsque vous serez devenu insensé, afin d'être sage: ne jugeant, n'examinant rien de ce qui vous est ordonné, mais vous montrant obéissant en toute simplicité et en toute foi, ne tenant pour saint, pour utile et pour sage, que ce que la loi de Dieu ou le jugement du supérieur vous aura indiqué. Que l'exemple de ceux qui se révoltèrent contre Moïse vous épouvante : la flamme du ciel brûla les uns, l'enfer engloutit les autres vivants (Num. XVI, 31). Le temps me ferait défaut si je voulais vous tout détailler avec ordre.

29. Ce que je vois à vous inculquer, c'est que tant que nous vivons, nous courons au milieu des piéges. Jamais de paix solide, ô douleur! jamais de repos assuré : partout la guerre, de toutes parts des ennemis. Car Pharaon et son armée retiennent celui qui veut sortir: des défaites nombreuses arrêtent, au milieu de sa course, celui qui marche; à l'extrémité, devant vous, se montrent des ennemis redoutables et courageux, qui veulent s'opposer à ce que vous entriez dans la terre promise , ce sont Amalech, Séon,Og, Moab, le fils d'Ammon et les voleurs du mont Séir. Que si vous les battez courageusement, que si par beaucoup de fatigues, vous pénétrez dans cette contrée délicieuse, vous verrez que, même en cette région sainte, vous ne pourrez rester en sûreté. Restent les Allophyles, et aux alentours sont tenues en réserve des nations dont le Seigneur se servira pour éprouver si vous l'aimez, pour que vous regardiez toujours sa main , de crainte, qu'après avoir mangé et vous être rassasié, vous ne veniez à l'oublier.



CHAPITRE XI. Tous ces défauts n'attaquent pas tous les hommes, mais les uns en sont plus atteints que d'autres.

 

34. Mais en tout ceci, il faut savoir qu'en certaines personnes c'est la gourmandise qui tient la principale place; en d'autres, c'est l'impureté. En ceux-ci, c'est l'orgueil qui domine, en ceux-là, c'est la vaine gloire. Dans les uns, c'est la colère, dans les autres, c'est l'avarice ou la tristesse ou quelque vice semblable qui exerce sa tyrannie. Aussi, faut-il que chacun de nous combatte selon la qualité des attaques qu'il subit; ainsi, tel doit lutter d'abord contre le péché qui est mis au troisième rang; tel contre celui du quatrième ou du cinquième : et ainsi selon que ces vices dominent en nous, réclamant tel genre de guerre, il faut dresser notre campagne d'après les données que nous en avons. Et il faut attaquer le plus fort de telle sorte pourtant que nous ne négligions pas de combattre les autres qui nous font subire de moins rudes assauts. Faisons de la sorte tout notre possible, nous confiant non sur nos efforts, mais sur le secours de Dieu. De cette manière, le Christ aidant, nous pourrons obtenir la pureté du coeur et atteindre à la plénitude des vertus.

35. Une chose dont je ne veux pas moins vous voir instruits, c'est qu'en tous les hommes il y a une grande variété de moeurs. Aussi, il y a des vices qui se rapprochent beaucoup de celles qui sont tranquilles et douces; il y en a qui touchent de fort près à celles qui sont rudes et âpres. Souvent ce qui plait aux uns, ne va pas aux autres Le démon, quand il veut tromper quelqu'un, examine d'abord attentivement sa nature et dirige ensuite ses efforts vers l'endroit où il le voit accessible au péché. Il le tente du côté où il voit que l'incline son humeur dominante; selon les tendances qu'il trouve, il dresse le plan de la tentation. Que nul donc ne regarde, comme empreinte de faute, celle qu'il éprouve d'après sa propre constitution; mais qu'il lutte, de toutes ses forces, contre l'impression qu'il éprouve. Car, s'il cède au tempérament, il ne résiste nullement à la tentation ou au péché. Que toujours les moeurs rudes et constantes s'opposent également à l'orgueil, à la colère et à la cruauté. Que les moeurs douces et agréables ne cessent de lutter principalement contre la vaine gloire, l'hypocrisie de la fausse piété. Les personnes qui ont ces dernières tendances, se prennent plus facilement aux louanges. Elles ne veulent déplaire à aucun homme; elles semblent supporter également tout le monde : elles trompent et sont trompées; et plus elles plaisent aux hommes, plus Dieu les déteste, comme il est écrit : «Les astucieux et les rusés provoquent la colère du Seigneur. (Job. XXXVI, 13). » Les hommes bons et craignant Dieu, ne veulent point paraître ce qu'ils sont en réalité. Les éloges des hommes font souffrir les bons et réjouissent les méchants.

36. Les hypocrites sont doublement condamnés : soit pour leurs fautes cachés, soit pour leur dissimulation évidente. Car ils ne réussissent point toujours à se cacher. Il n'y a de durable que ce qui est sincère ; ce qui est simulé ne peut subsister longtemps. Les hypocrites sont blancs dehors et souillés au dedans. L'amateur de la vaine gloire ne cesse d'agir afin de pouvoir être loué. Quelques-uns, dans la fausse opinion que leur souffle leur arrogance, se croient parfaits tandis qu'ils ne le sont pas: les tentations qui surviennent les font connaître. Plus on est près de la vérité, plus on s'en croira éloigné en cette manière. Il est une humilité de peur et d'ignorance, qui ne mérite aucun éloge. L'hypocrite parle le langage des saints, il n'en a pas la vie : la jactance lui ferme toujours les yeux par lesquels on peut voir le Seigneur.

37. Le démon domine davantage sur les superbes et sur les voluptueux. La volupté passée laisse toujours le repentir. Jamais elle ne se rassasie, et, une fois assouvie, elle se rallume. Malheur à celui qui n'a eu pour terme de sa luxure que celui de sa vie. Le vin agit contre celui qui l'a bu ; après qu'il a quitté la table, ni son pied ni sa main ne remplissent leur office, et toute sa gaîté amène sa ruine et sa chute. L'homme superbe ne sera pas honoré, et il n'amènera pas à terme les résolutions qu'il aura formées. La conscience du serviteur de Dieu doit toujours être humble et triste : c'est-à-dire que son cœur ne doit pas s'enorgueillir par l'humilité, et se laisser aller, par un utile chagrin, à la dissolution. Il faut qu'il prie, qu'il lise et qu'il travaille sans relâche dans la crainte que les vices ne s'emparent peut-être d'un esprit donné à l'oisiveté. Que l'âme, consacrée au Seigneur, évite ainsi les petits défauts comme les grands; parce qu'on commence parles moindres péchés avant de tomber dans les plus considérables. Il se traite trop délicatement, celui qui veut, sans grand travail et sans application continuelle, surmonter ses défauts ou acquérir les vertus. Entraîné par le poids de la chair, l'âme s'élève difficilement vers les vertus, et tombe avec facilité vers les vices ; car ceux-ci sont en bas, et les vertus se trouvent dans les hauteurs.

38. Plusieurs enfin parce qu'ils ne renoncent pas au siècle pour l'amour de Dieu, ne s'appliquent pas au travail. Plût au ciel, que la démarche que nous avons faite en quittant le monde, vint de la volonté et non de la nécessité. En effet, les religieux qui ne suivent pas leur profession avec une volonté vigoureuse, plus ils sont faibles à désirer le saint, amour d'en haut, plus vite ils retombent dans l'amour du monde, et lui demandent, les uns des voluptés, et les autres, des honneurs. Mais celui qui aspire à cette profession de la sainteté dans le désir de commander un jour aux autres, celui-là n'est pas disciple de Jésus-Christ, il est esclave de l'esprit pervers. Porter la croix et ne pas mourir, c'est le propre des hypocrites. Celui qui pour l'amour de Dieu se livre à la vie dure , doit être assidu à la prière, offrir ses larmes au Seigneur et non aux hommes, et, semblable à ceux qui conduisent les chars, tempérer ses jeunes à cause de la lassitude et du peu de forces de son corps.

 



19/01/2011
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