Notre-dame-de-lourde-créateur-francois-partie-01 et 2

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violence des religions


La violence des religions

Le comportement religieux produit des oeuvres belles et bonnes, mais ce fait ne doit pas justifier le refus de voir qu’il y a un lien structurel entre la violence et la religion.  Dieu en guerre. La violence au coeur des trois monothéismes. » montre comment le monothéisme est en première ligne de la violence liée aux religions.

Au commencement de la réflexion, il faut clarifier les termes employés dans le titre. Prenons pour point de départ que le mot violence signifie une action qui s’écarte de la justice et brise avec le droit de chacun à vivre une vie digne d’être humaine, dans l’intégrité de son âme, de son corps et de ses biens. Le mot religion désigne les institutions qui structurent la vie sociale pour ses rapports avec un absolu ou avec le mystère de la fin et des origines. Cette attitude humaine universelle ne se limite pas au monothéisme abrahamique. Pourtant, je me placerai à l’intérieur de cette tradition, parce que je l’habite et que charité bien ordonnée commence par soi-même !

I. La raison des effets

Face à la violence suscitée en leur sein, les milieux religieux proposent des explications qui sont des justifications. Leur examen montre qu’elles éludent la question. Aussi la première étape de l’analyse critique sera de relever les diverses manières d’esquiver la difficulté. Il sera ici question de la tradition chrétienne - laissant à d’autres le soin de parler de l’islam et des autres formes religieuses qui occupent le devant de l’actualité.

A. Les esquives

La première esquive se perçoit dans les propos des responsables politiques. Dans leurs messages, motivés par un légitime souci d’apaisement, ils s’accordent à dire que les religions sont bonnes et que les responsables de la violence sont des « fanatiques » et que ces derniers trahissent leur référence à Dieu; leur attitude ne porte donc aucune ombre sur leur religion comme telle. Cet argument ne tient pas, dès que l’on regarde de près les textes fondateurs.

1. Les textes fondateurs

1. Dans la Bible, la violence est exercée au nom de Dieu. Il suffit d’ouvrir le livre de Josué pour voir mis en oeuvre, au nom de Dieu, ce qui est, au sens strict, un génocide. N’échappent à la mort que ceux qui savent ruser ou qui sont assez forts pour résister à la conquête. Celle-ci est légitimée par une malédiction de l’ancêtre présumé de la population cananéenne; la descendance de Cham doit être punie. On lit cette malédiction prononcée par Noé : Maudit soit Canaan ! Qu’il soit l’esclave de ses frères !? […] Béni soit le Seigneur, le Dieu de Sem, et que Canaan soit son esclave ! (Gn 9,25-26).

Les exégètes montrent que le livre de Josué a été écrit longtemps après les événements rapportés. Pour les historiens, la conquête de la terre de Canaan a été progressive et s’est opérée plus par assimilation que par destruction. L’introduction au livre de Josué dans la Nouvelle Bible Segond relève : On ne sache pas, au demeurant, que cet ordre d’élimination physique des populations vaincues ait été jamais appliqué à la hauteur des mots. Il n’empêche que le livre fait partie du corpus des textes inspirés. Ils ne sont pas seuls, les Psaumes disent qu’il faut tenir à pleine main l’épée à deux tranchants (Ps 149,6). L’odieux de la « guerre sainte » apparaît aujourd’hui dans la notion d’anathème - mot qui est resté dans le langage de l’Eglise pendant des siècles : or l’anathème est la mise à mort de tout homme et la destruction de ce qui est à lui.

Il y a ainsi, dans les textes fondateurs de la tradition monothéiste, une justification de la violence, à partir de la notion de « terre sainte » et de « terre promise ».

2. Le regard sur l’avenir est également source de violence. En effet, les textes messianiques portent sur le triomphe de Jérusalem qui deviendra la capitale du monde entier et qui verra les peuples venir faire allégeance, selon la parole d’Isaïe placée dans la bouche de Dieu et adressée à Jérusalem : La gloire du Liban viendra chez toi. […] Ils s’approcheront de toi, humblement, les fils de tes oppresseurs; ils se prosterneront à tes pieds, tous ceux qui te méprisaient. […] Tu suceras le lait des nations; tu suceras les richesses des rois. (Is 60,13-16).

Faire de Jérusalem la capitale du monde ne va pas sans une justification de l’oppression et de l’exclusion des autres - fâcheux exemple qui a été transposé dans d’autres lieux selon un processus de détermination d’un centre de pèlerinage, lieu saint qui est compris comme le centre du monde. Rome où mènent tous leschemins pour les catholiques et, plus encore, La Mecque pour les musulmans. Si aujourd’hui Jérusalem est au centre des conflits, c’est bien parce qu’il s’agit d’un lieu saint : lieu unique pour des peuples différents que l’histoire a séparés. L’interdiction d’accès au lieu saint pour les infidèles marque la source de la violence. L’infidèle est impur; il est dans l’erreur; il n’a pas accès à la source de la vie s’il n’a pas accompli les actes de renonciation à l’erreur.

3. De ces deux points, il résulte que la violence des religions n’est pas le fait d’une déviation, mais qu’elle est liée à leur fondation. Les fanatiques ne font que prendre à la lettre ce qui est écrit dans les textes fondateurs. Les intégristes catholiques ne font que redire ce qui a été enseigné au cours des sièclesLes sectes ne font que renvoyer aux grandes églises leur propre image.

2. La lecture sociologique

Une deuxième manière de réduire le lien entre la violence et la religion consiste à faire une analyse des causes sociales de la violence. Elle se développe dans le discours universitaire qui montre que la violence est liée à bien des facteurs.

Ainsi l’approche sociologique privilégie la situation sociale et économique des faits de violence, conjoncturelle ou structurelle. Cette lecture a été développée dans la pensée marxiste, pour qui la religion - qui est sans objet, puisque Dieu n’est pas - est l’expression d’un malaise social. La religion est présentée comme une idéologie; elle est le reflet d’une difficulté de vivre. Si l’on résout les problèmes sociaux, la violence disparaîtra d’elle-même. Le discours politique dominant ne cesse de le redire : travail, logement, éducation et liberté d’expression assureront inévitablement le recul de la violence, dont la religion n’est que le masque.

Cette argumentation est insuffisante. D’une part, les promoteurs de la violence ne sont pas des victimes de la situation économique actuelle. Les intégristes catholiques sont riches et bien en place dans les cercles du pouvoir. Les réseaux islamistes s’appuient sur l’abondance des pétrodollars. D’autre part, si cette argumentation est vraie, le croyant se doit de l’appliquer en tout domaine. Il doit donc appliquer cette analyse sociologique à toutes les réalisations belles et bonnes de la vie religieuse. En reprenant l’argumentation qui la dédouane de toute violence, l’apologétique détruit son fondement puisqu’elle récuse toute spécificité à la vie religieuse.

3. La justice et la colère de Dieu

Le rapport entre violence et religion porte aussi sur la représentation de Dieu, en particulier l’idée de la « colère de Dieu ». Le thème est dominant dans les conflits qui ont déchiré l’Europe à l’aurore des temps modernes pendant les « guerres de religion ». L’expression « colère de Dieu » signifie que Dieu punit le coupable et que l’on est justifié d’être son instrument.

Ces observations sont critiques. Je pense que les croyants doivent les entendre, même si elles sont reprises par leurs adversaires : la violence aujourd’hui se nourrit de la référence religieuse - même si toute violence n’est pas due exclusivement à une religion.

B. Les sources religieuses de la violence

Ayant écarté les esquives, il convient de voir en face le lien entre violence et religion. Ce lien est structurel. Trois points doivent être relevés sur le lien entre la violence et la religion.

1. La trace de l’absolu

Le premier lien entre violence et religion vient du développement des causes non religieuses du conflit. C’est la part de vérité de l’analyse sociologique. Les conflits portent sur ce qui est nécessaire à la vie : la terre, l’eau, l’habitat, les ressources naturelles, le vêtement, la famille, l’éducation et la culture traditionnelle. Lorsqu’un de ces éléments est sacralisé et donc transposé dans le domaine religieux, alors les conflits sont portés à l’absolu.

Les conflits se résolvent humainement par négociations et compromis. On délimite des frontières, on déplace des populations, on partage les ressourcesnaturelles, etc. Au plan social, on compense par des taxes ou des subventions les inégalités sociales, on organise des systèmes de prise en charge des chômeurs, on indemnise les victimes des catastrophes. Au plan politique, on promulgue des lois d’amnistie, etc. Bref, il existe des procédures qui permettent, sinon la réconciliation, du moins d’éviter des violences.

Or, l’attitude religieuse porte à l’absolu les éléments à la source du conflit. Ils ont une telle valorisation qu’on ne peut plus négocier, ni partager, ni renoncer en quoi que ce soit. Le conflit s’exaspère et l’on va jusqu’à la mort - avec l’apologie du martyre.

Ainsi, dire qu’une terre est sainte, qu’un lieu de pèlerinage est le centre du monde, qu’une ville est sainte ou qu’une partie de l’humanité est élue est source d’une violence qui ne peut s’arrêter avant que les autres ne soient assimilés ou exterminés.

2. Le sacrifice

La source principale de la violence est, sans aucun doute, l’idée de sacrifice. La notion de sacrifice repose sur la conviction que la bienveillance de Dieu est acquise par le don et l’offrande. Transposition de la notion de cadeau qui fait partie des relations sociales.

La logique du don veut qu’il soit sans retour « donner, c’est donner; reprendre, c’est voler », disent les enfants. Pour que le don soit sans retour, il faut donc que personne ne puisse s’en servir, aussi dans l’holocauste, la victime est détruite par le feu; elle est détruite entièrement. De même, le sang est versé. Parce que le sang est la vie - versé sur l’autel, il signifie que Dieu la reçoit en hommage.

Le sacrifice est donc lié à la destruction d’une vie. il faut que le sang coule. Les victimes des guerres religieuses sont immolées selon un rituel sacrificiel. Ainsi dans les massacres en Algérie aujourd’hui, les mouvements islamistes égorgent leurs victimes. C’est un geste sacrificiel qui verse le sang. Il faut analyser le rôle des sacrifices.

La violence est donc présente : elle est gérée par le système sacrificiel qui fait partie de la religion.

3. La purification

Un autre thème explique la violence des religions, celui de la pureté. L’impur est considéré comme la source du mal et du malheur. Il est contagieux et donc doitêtre éliminé. Le fidèle doit alors se tenir à l’écart de l’impur et se protéger de son influence par des rituels de purification. Le souci de la pureté sépare.

Lorsque la société se définit entièrement comme pure sous l’influence d’une religion dominante qui est à la source de cette pureté, alors les impurs sont rejetés. Le registre du pur et de l’impur n’est pas juridique; il ignore le droit en se situant à un plan archaïque de la conscience.

Cette exigence de pureté explique pourquoi, dans le monde sémitique (le Lévitique et la Charia), les femmes adultères sont lapidées : l’exécutant de la sentence se tient à distance et n’est pas contaminé par l’impure. Pour les mêmes raisons, au temps de la chrétienté, les infidèles étaient brûlés pour que leur impureté ne contamine pas la communauté des fidèles.<(p>

On le voit sur ces trois points, la violence entretient un rapport structurel avec l’attitude religieuse. Cette critique vaut pour les religions instituées, mais elle vaut aussi pour ce que Raymond ARON appelait les religions séculières qui ont ravagé le 20e siècle. Ce jugement relève d’une certaine conception de la religion. Il faut donc clarifier le concept de religion.

II. Violence et religion : essai de définition

Après cette analyse de la raison des effets, qui a montré qu’il y a un lien structurel entre comportement religieux et violence, il est nécessaire de poursuivre la réflexion. Pour que l’analyse soit correcte, il faut se demander si les termes employés dans le langage courant sont corrects ? En particulier, le sens du mot violence est-il si clair que cela ? La notion de religion est-elle pertinente pour dire les mouvements qui agitent les peuples et les nations ?

A. Qu’est-ce que la violence ?

1. Une première remarque s’impose. L’emploi du terme de « violence » est très récent. Il apparaît chez ENGELS, dans « Le Rôle de la violence dans l’histoire », et chez Georges SOREL dans ses « Réflexions sur la violence ». Ce n’est qu’à partir des années 1960 que le terme est banalisé dans le discours politique. Lesphilosophies politiques du 18e siècle ignorent le mot violence. Elles parlent de tyrannie, despotisme, guerre, intolérance, résistance, désordre. Ce qui est fort rigoureux et précis. Pourquoi alors employer un terme général ? Que signifie l’usage intempestif du mot violence ?

2. Une des raisons est que le mot « violence » est porteur d’un très riche contenu affectif, au même titre que celui de non-violence qui s’y oppose. Mais au-delà de l’aspect affectif, le terme est porteur de représentations. C’est par rapport à cela que l’on réagit. C’est pour faire réagir que les politiques et les grands moyens de communication emploient ce terme. Mais au-delà de l’usage, il est nécessaire de chercher une définition plus précise, par l’examen critique de ses emplois.

3. On ne peut que constater que le mot violence comporte une grande pluralité de significations, comme le montre le bref relevé suivant :On utilise le mot de violence pour la criminalité et la délinquance. Le mot violence caractérise les agressions dans le métro, le vol, le viol, l’insécurité des grands ensemble.Le mot violence est employé à propos du sport, dans les tribunes et dans le cours du jeu lui-même.Les tentatives de déstabilisation politique par des manifestations de masse.Le terrorisme.Les rixes scolaires entre élèves et l’agression des enseignants.Les pratiques policières.Les conditions de travail, les accidents du travail et les luttes syndicales.Les accidents de la route.La publicité et les images suggestives.La lourdeur, la lenteur et l’inattention de l’administration.

La liste n’est pas exhaustive. Elle suffit à montrer le caractère proliférant de la notion qui fait que le terme perd son sens. La notion est vraiment floue, surtout si on rattache le mot violence à une racine indo-européenne qui a aussi donné le mot « vie ». Le mot violence est coextensif à toute la nature, dont il dit la part d’ombre, ou plus exactement ce qui disparaît lors de toute transformation. Or, la vie est passage et donc perte de ce qu’il y avait avant.

Plus encore, il faut constater que l’emploi de la notion de violence se fait sur le mode de la dénonciation. Le même acte peut être qualifié de violent par les uns, mais pas par les autres. Là où certains parlent de guerre sainte ou de croisade, d’autres parleront de violence. Là où certains parleront de lutte, d’autres parleront de violence, etc. De cette analyse du langage, on doit conclure que l’usage du terme de violence est le symptôme d’une crise, comme il en va de toute prolifération abusive du vocabulaire. Il faut donc aller plus avant et se demander : pourquoi ?

4. A la suite du philosophe Yves MICHAUD, il faut reconnaître que, à la racine de cet usage où finalement le sens précis du mot disparaît, il y a le fait que des gens différents ont des points de vue divers sur les mêmes choses. L’apparition du terme de violence et sa prolifération signifient donc la disparition de points fixes à partir desquels on peut juger de ce qui advient dans le champ social. Le terme de violence est une facilité pour dénoncer, en l’absence de définition claire, ce qui est légal ou illégal, ce qui est légitime ou illégitime, ce qui est sacré ou sacrilège, ce qui est normal ou inadmissible. L’emploi du mot violence signifie que l’on n’est plus certain des critères pour juger de ce qui se passe dans la société. Faute de nommer les choses de manière précise : vol, viol, rixe, guerre, etc., on utilise le mot violence. Il est le symptôme qui renvoie à un certain état de fractionnement du système social.

Après avoir vu la difficulté qu’il y a d’utiliser le terme violence, il faut considérer l’emploi du terme « religion ».

B. Pour une définition des religions

La modernité, dans une phase active de mondialisation, se trouve confrontée à la multiplicité de ce que l’on appelle les religions qui coexistent dans le même espace social. Là aussi, il faut constater qu’il y a un éclatement des significations.

1. Comme pour la violence, il faut relever la dimension affective du terme. Pour certains, le mot est le signe de ce qu’il faut rejeter. La tradition laïque militante ne manque pas de le faire. Le lien entre violence et religion est souligné et leurs antagonismes dénoncés, non tant pour combattre la violence que pour faire reculer l’influence des religieux.

2. D’autre part, comme pour la violence, la multiplicité des religions entraîne le scepticisme qui prend souvent la forme du subjectivisme. Le discours religieux n’a pas de valeur objective. Il n’est que la projection dans un discours public et raisonné d’une attitude intérieure. Il ne vaut pas pour lui-même, mais pour l’attitude qui s’exprime à travers lui.

3. Une autre attitude consiste à respecter la valeur des religions. Elle considère que les dieux des religions sont des formes particulières d’expression religieuse. Le même et unique Dieu est nommé autrement et honoré par des pratiques différentes. Comme personne n’a le monopole de la vérité et que Dieu est au-delà de toute représentation, les diverses voies sont compatibles entre elles. Ainsi beaucoup parmi les théologiens et les philosophes chrétiens ont cherché à trouver l’unité dans une perspective historique . Elle préside à la publication d’innombrables « histoires des religions ». Cette méthode a pour limite d’établir une hiérarchisation des religions, en lien souvent avec l’idée de progrès. En bas se trouvent les religions de la préhistoire, liée à la peur et à l’ignorance. Puis viennent les religions purifiées par la réflexion morale et métaphysique et au sommet se trouve le pur monothéisme. Cette vision est celle des grandes philosophies religieuses du 19e siècle. Cette manière de voir est justement celle qui est en crise actuellement et ne peut se légitimer. Pour cette raison, une autre perspective s’impose.

4. Pourquoi ne pas reconnaître que la nomination de Dieu est une réalité humaine ? Pour la comprendre, il ne faut pas du tout se situer dans l’analyse du contenu de ses confessions de foi, mais situer celle-ci dans leur forme. Or, avec des contenus divers les formes de la religion expriment toutes une réalité anthropologique. Toute culture et tout comportement ont une dimension religieuse et donc tout être humain a un comportement religieux.

La notion qui permet d’unifier la pensée est ici celle de sacré. Le sacré est fondé sur sa distinction d’avec le profane. Est profane ce qui est d’usage commun ou banal. Est sacré ce qui est hors série. Cette définition phénoménologique s’explicite selon les cultures. Plus largement, la religion est ce qui assure le lien de l’homme avec ses origines et sa fin, Ce qui est universel.

On définit donc un homo religiosus qui est le même partout et toujours et qui se donne des représentations du sacré et de la divinité.

La reconnaissance de la valeur humaine de la religion permet de ne rien écarter et d’accueillir les contrastes, on est ainsi à distance de la critique rationaliste qui note que certaines pratiques religieuses sont aliénantes ou d’autres libératrices. De même, cette attitude a l’avantage de ne pas faire du syncrétisme en ignorantles irréductibles différences de confession de foi. Le Coran est différent de l’Evangile - ce n’est pas la même représentation de Dieu. Mais un chrétien et un musulman ont des attitudes religieuses homologues dans leur manière de prier, de respecter des règles alimentaires, de rythmes liés au calendrier ou de vivre le pèlerinage.

Cette perspective me semble juste et respectueuse de tous. Elle permet de définir la religion comme un comportement vécu en société par des rites et dessymboles et qui ont pour objet de relier l’homme à son origine et à sa fin. Cette clarification permet, à mon sens, de sortir du cercle infernal que stigmatise le terme de violence.

C. La violence comme telle

Qu’est-ce que la violence ? La violence nomme une crise de la société et de la pratique religieuse. Elle dénote le fait que l’on perçoit que le droit demeure incontestable. On en a besoin, et donc on l’applique, mais on n’en perçoit plus le fondement. On voudrait y croire, mais on n’y arrive pas tout à fait. On utilise le terme de violence et ses représentations pour porter à l’absolu un point de vue dont on n’est pas sûr qu’il soit absolu et sans contestation possible.

Ainsi le mot violence est-il exact quand il caractérise ce que les philosophies politiques du 18e siècle (en premier lieu HOBBES) appelaient « l’état de nature » : en cet état, il n’y a pas de règle et chacun est menacé par tout autre.

Cette définition est reprise, par un autre chemin, par René GIRARD dans son maître livre, « La Violence et le sacré ». L’analyse des textes fondateurs de la culture, le roman classique, les tragédies antiques, le théâtre de SHAKESPEARE, les textes de persécutions, les textes bibliques et les utopies manifestent ce qu’est la violence au sens strict : un état d’indifférenciation qui met chacun à la merci de tous. René GIRARD appelle cela : « la crise sacrificielle ».

Le sacrifice est lié à une crise sociale où règne une confusion telle que tout homme est l’ennemi de tout autre. Il faut en sortir. Comment ? L’analyse des textes fondateurs montre que l’on sort de cet état - qui est comme un chaos - en faisant l’unité contre un seul. Ce n’est pas n’importe qui, mais un individu qui appartient à la communauté et qui d’une certaine manière est marginal. L’unité se fait contre lui; sa mort apporte donc une issue à la violence universelle. Ainsi, les sociétés religieuses sont-elles fondées sur le sacrifice qui expulse la violence du groupe sur un individu ou sur un substitut de cet individu - le bouc émissaire. Mais, comme ce n’est que pour un moment, le sacrifice est ritualisé et il doit se renouveler selon les cycles de la vie : saisons, années et périodes plus amples.

Au terme de cette deuxième partie, il apparaît que l’usage du terme violence est fondé sur le souci de dénoncer ce qui détruit l’homme et la société. J’ai aussi retenu le fait que le rapport au religieux est une manière de contenir cette violence; mais, avec René GIRARD, je relève que les religions se contentent de gérer la violence. Ce qui mène à la préoccupation d’aller plus loin, c’est-à-dire de faire plus que gérer ou contenir la violence, mais de la supprimer.

III. Que faire ?

Pour mettre fin au cercle infernal du chaos qui est proprement la violence, je me réfère à un texte fondateur tiré de la Bible chrétienne et que l’on appelle le « Sermon sur la montagne », le grand discours inaugural de Jésus dans l’évangile selon saint Mathieu.

A. Diversité des réponses actuelles

Face à la crise mondiale qui affecte l’ensemble du monde et que traduit l’usage du mot violence, il y a actuellement quatre attitudes.

La première est de type totalitaire : il s’agit de reconstituer, de force, un consensus social. Là, le discours du maître définit le bien et le mal, sans contestation possible. Ce risque préside au discours sécuritaire. Il préside à l’instauration des dictatures qui, sur fond de refus de l’insécurité intérieure ou internationale, reconstitue de force l’unité. Le totalitarisme désigne bien ce type de société où la reconnaissance de la différence avec autrui est niée.

La deuxième attitude est de type religieux : on promeut une croyance dont on peut dire qu’elle est délirante. C’est-à-dire qu’elle se déploie sans le souci d’une vérification ou d’un contrôle rationnel.

La troisième attitude est celle de la fuite, ou encore de la non-violence qui renonce au monde et ne prend plus de responsabilité.

La quatrième est de type nihiliste ou anarchiste : en finir avec toutes les institutions et ne pas chercher à les remplacer.

Face à ces attitudes, en s’appuyant sur le Sermon sur la Montagne, le chrétien ouvre une voie nouvelle. Celle-ci se réfère au religieux, dans la mise en oeuvre d’une différence radicale entre la religion et la foi. je propose, pour faire simple, trois règles : respecter le croyant, moraliser le comportement religieux et une exigence d’éducation.

B. Respecter le croyant

Le Sermon sur la Montagne commence par une affirmation selon laquelle Jésus déclare qu’il n’est pas venu abolir la Loi de Moïse, mais l’accomplir. Cette attitude me semble convenir vis-à-vis de toute pratique religieuse.

Il faut reconnaître que la pratique religieuse joue un rôle dans l’édification de la personne. La reconnaissance de la dimension proprement anthropologique de la religion permet de reconnaître leur rôle. Vouloir ignorer leur importance ou les réduire à être l’épiphénomène des problèmes économiques ou sociaux ne suffit pas.

Les religions contribuent à réaliser l’humanité selon des déterminations particulières. Or, l’être humain est un être inachevé. Cet inachèvement a pour effet de donner un caractère ambigu à toute réalité humaine : elle a son bon et son mauvais versant. Aussi, les religions doivent-elles être à la fois soupçonnées et reconnues, puisqu’elles ont le même statut que toute autre réalité humaine. Mais ce respect ne saurait empêcher que l’on reconnaisse que la pratique religieuse doit se mettre au service de la relation personnelle avec Dieu et donc dans la reconnaissance de sa grandeur et de son absolu.

C’est ainsi que dans le Sermon sur la Montagne, Jésus déclare : Quand vous priez ne soyez pas comme les hypocrites; ils aiment, pour faire leurs prières, à se camper dans les synagogues et les carrefours, afin qu’on les voie. En vérité, je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense. Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là dans le secret; et ton Père qui voit dans le secret te le rendra. Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens; ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter. N’allez pas faire comme eux; car votre Père sait bien ce qu’il vous faut avant que vous le lui demandiez. […] Quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là dans le secret. (Mt 6,5-18)

Le sens de l’absolu de Dieu et de la grandeur dela foi personnelle abolit toute prétention totalitaire et donc ce que nous avons dénoncé dans la première partie.

C. L’éthique et le religieux

La deuxième exigence que je tire du Sermon sur la montagne à propos du comportement religieux est qu’il doit être l’objet de régulation morale ou éthique, comme toute réalité humaine.

Quand tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère; puis reviens et alors présente ton offrande." (Mt 6,23-24)

Le propos tenu sur Dieu, tout comme les actions qui découlent de cette nomination, doivent se soumettre à la régulation éthique prise sur l’exigence anthropologique. La transcendance exprimée par la notion de sacré ne méprise pas la morale. Je me réfère donc à la parole de Jésus disant : Ce ne sont pas ceux qui disent « Seigneur ! Seigneur ! » qui entreront dans le royaume de Dieu, mais ceux qui font la volonté de Dieu. C’est de ce point de vue que le fondement du comportement religieux est soumis aux exigences des dix paroles : Tu aimeras, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne mentiras pas.

Un sacrifice humain est un acte homicide et, donc comme tel, il doit être récusé pour des raisons morales. L’apologie de l’obéissance d’Abraham est sans aucun doute critiquable. Le récit instaure le refus de tout sacrifice et non pas sa répétition. Un précepte fait au nom de Dieu doit obéir à toutes les exigences du respect de l’homme, en particulier, sa conscience. Un enseignement sur Dieu se doit également de respecter les règles de la pensée et de la raison.

Bref, le religieux, parce qu’il est réalité humaine doit être soumis à la morale, c’est-à-dire à la règle d’or : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse ».

D. Une exigence d’éducation

Une troisième attitude résulte de cette exigence : l’éducation. L’homme est sur un chemin où il se réalise lui-même. Or, sur ce chemin, il ne marche pas dans la pureté d’intention et la rectitude de la raison. Il y a dans ses désirs des contradictions. Il doit donc les assumer dans l’effort pour grandir. on peut représenter le chemin en disant qu’il y a dans la vie une force et qu’il importe que cette force soit orientée et canalisée pour qu’elle porte un fruit de bonheur.

Le Sermon sur la Montagne met en oeuvre une exigence d’éducation. Elle passe par la maîtrise de soi. Vous avez entendu qu’il a été dit : « Tu ne commettras pas d’adultère ». Eh bien ! Moi, je vous dis : quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son coeur, l’adultère avec elle. Que si ton regard [littéralement : ton oeil] est pour toi occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi. (Mt 5,27-29) et plus loin : La lampe du corps, c’est l’oeil. Si donc ton oeil est sain tout ton corps est lumineux. Mais si ton oeil est malade, ton corps tout entier sera ténébreux. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, quellesténèbres ! (Mt 6,22-23)

Il en résulte une exigence d’éducation et de transformation du vouloir vivre en bonne puissance. C’est là que la religion comme force sociale peut jouer un rôle bénéfique.

Mais comme il est des fausses routes, il faut parler non seulement d’éducation, mais aussi de conversion. C’est-à-dire d’un changement de vie à l’intérieur de la pratique religieuse. Jésus répondait à la Samaritaine que l’on n’adore pas mieux à Jérusalem que sur le mont Garizzim, car « Dieu veut des adorateurs en esprit et en vérité ».

Conclusion

L’attitude chrétienne a été définie par Jésus dans le Sermon sur la Montagne. Elle donne sens à l’appel inscrit dans les premières pages de la Bible, car le désir homicide est en tout homme représenté par Caïn. Mais il lui est dit : Le mal est tapi à ta porte. Si tu veux, tu peux le dominer. (Gn 4,7)

Plus radicalement encore, la manière dont ce que stigmatise le nom de violence ne pourra disparaître que si on met fin au cercle de la vengeance. Or, ce qui brise le cercle fatal de la violence n’est rien d’autre que l’exigence chrétienne du pardon. Pardonner ce n’est pas oublier. Ce n’est pas excuser. C’est manifester un amour plus fort que l’offense. Mais le pardon n’est pas magique. Pour cette raison, la prière enseignée dans le Sermon sur la Montagne dit bien : Père, pardonne nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Non point marchandage, encore moins chantage, mais exigence de réciprocité.


09/04/2011
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